Cette marginalisation procède d'abord d'une volonté politique
parfaitement assumée en France, qui mêle à la fois la négation et/ou le
révisionnisme officiel de ce crime contre l'humanité, avec le renvoi de
toute revendication de respect de cette mémoire occultée à un mauvais
procès de repentance fait à la France.
Dès lors comment ne pas s'étonner qu'on en arrive à des extrémités comme celle de cette
ministre en charge des Droits des Femmes qui peut en toute quiétude
établir un parallèle indécent et déplacé entre la condition non
consentie des esclaves nègres américains ....et celle de ces femmes
fanatisées et soumises à leurs maris fondamentalistes qui revendiquent à
tort le port du voile parfois dans l'espace public. Jusqu'ici personne,
ni dans les rangs du gouvernement ni du côté de sa formation politique,
ne s'en est ouvertement désolidarisée.
Surtout gare à toutes celles et tous ceux qui expriment leur
indignation, elles et ils sont immédiatement réduits - lorsqu'elles ou
ils sont noir(e)s de peau - à leur "négritude émotionnelle".
Voilà comment un certain racisme aux forts relents civilisationnels perdure dans l'imaginaire officiel français.
Joël Didier Engo, Président de Nous Pas Bouger
Maryse Condé: «La traite et l’esclavage marginalisés dans l’imaginaire français»
Depuis 2006, le 10 mai est la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et leur abolition. A travers la France métropolitaine, comme dans les départements et territoires d’outre-mer, des actions sont organisées pour se souvenir des victimes de la traite négrière. L’année 2016 ne dérogera pas à la règle. A l’occasion de cette journée commémorative, RFI a interrogé la célèbre romancière française Maryse Condé, qui a puisé l’inspiration de nombre de ses romans dans la tragédie du commerce humain dont l’Afrique fut victime. Entre 2004 et 2008, la romancière a aussi présidé aux travaux du Comité pour la mémoire de l’esclavage auquel on doit le choix de la date pour la journée nationale de commémoration de l’esclavage.
RFI : Que commémore-t-on exactement le 10 mai?
Maryse Condé : Je dirais qu’on commémore une immense
douleur, trop longtemps passée sous silence. Je veux parler plus
précisément des souffrances qu’infligea la traite aux millions
d’Africains arrachés à leur continent et à leurs cultures. Ces
souffrances ont été longtemps ignorées, méconnues. Il va falloir
attendre la loi Taubira votée en 2001 par le Parlement français pour que l’esclavage soit considéré comme crime contre l’humanité.
La France a été le premier pays et le seul jusqu’à aujourd’hui à
reconnaître le tort historique qui a été fait aux communautés noires.
Elle condamne la traite négrière transatlantique comme étant contraire
au principe d’humanité et de morale universelle. C’est cette histoire
longtemps méprisée de l’esclavage des Africains qu’on commémore le 10
mai.
La loi Taubira prévoyait l’instauration d’une journée
nationale pour célébrer chaque année des mémoires du passé esclavagiste.
Mais c’est à vous qui avez dirigé le Comité pour la mémoire et
l’esclavage (CPME) que l’on doit le choix de la date commémorative.
Pourquoi le 10 mai?
Les débats au sein du CPME furent particulièrement houleux pour
décider de la date de la commémoration. Les 40 000 Antillais qui avaient
défilé à Paris le 23 mai 1998, réclamaient que la date de cette
manifestation mémorable devienne la journée nationale de commémoration
de l’esclavage. Cette proposition n’a pas été retenue, car nous
cherchions une date à portée universelle, qui réunisse à la fois les
Français métropolitains et les communautés d’outre-mer qui ont été
victimes de l’esclavage. Nous avons écarté également le 4 février et le
27 avril, dates respectives de la première et de la seconde abolition de
l’esclavage en France.
On a écarté le 4 février 1794, car l’esclavage a été rétabli en 1802. Le décret définitif mettant fin à l’esclavage dans les colonies françaises date du 27 avril 1848 sous
la IIe République, mais le statut colonial des possessions françaises a
été maintenu. Le processus de libération engagé était incomplet dans
les deux cas et c’est pourquoi nous avons préféré à ces deux dates le 10
mai 2001, date de l’adoption de la loi Taubira. De l’aveu de tous,
l’adoption de cette loi qui reconnaît l’esclavage en tant que crime
contre l’humanité constitue un véritable tournant dans la réflexion sur
la traite négrière. Pour la première fois, l’esclave africain est
considéré comme une victime.
Quinze années après le vote de la loi Taubira, avez-vous
l’impression qu’il y a, aujourd’hui, une plus grande prise de conscience
en France des traumatismes des Africains liés à cet épisode
esclavagiste de leur histoire ?
Je prends un exemple. Dans mon enfance, personne ne m’a jamais parlé
de l’esclavage. Mes parents avaient honte de cette période de leur
histoire. Ils estimaient, comme beaucoup d’Antillais de leur époque, que
leurs ancêtres avaient mérité d’être des esclaves à cause de leur
inculture et de leur « sauvagerie ». L’éducation occidentale
avait fait d’eux des aliénés et ils pensaient vraiment que leurs parents
étaient des barbares. Cette vision a depuis été abandonnée. Les
Africains comme les Antillais sont de plus en plus nombreux aujourd’hui
à reconnaître qu’un inqualifiable crime a été perpétré à leur égard et
que le monde leur doit une réparation historique.
Dans son rapport, le CPME préconisait une amélioration de la
connaissance de l’histoire de la traite négrière dans les manuels
scolaires. L’esclavage est-il mieux enseigné aujourd’hui dans les
écoles?
Je me souviens d’avoir essuyé des refus de la part des éditeurs
lorsqu’en tant que présidente du CPME, j’avais demandé que des leçons
sur l’esclavage fassent partie des manuels scolaires en cours de
préparation. Cela dit, l’Education nationale rappelle chaque année aux
enseignants l’importance de la journée commémorative et la possibilité
que ceux-ci ont à l’occasion de ces journées de sensibiliser leurs
élèves aux questions de la traite, de l’esclavage et de leur abolition.
Je crois que les enseignants sont aujourd’hui mieux formés pour engager
avec leurs élèves une réflexion approfondie sur la singularité de
l’histoire de l’esclavage africain.
François Hollande a inauguré l’année dernière en Guadeloupe le Mémorial ACTe
dédié à l’esclavage. La ville de Nantes, qui a vu partir de nombreux
navires négriers vers l’Afrique, compte depuis 2012 un très beau
monument en souvenir des victimes de la traite. Vous avez vous-même
visité ces lieux de mémoire. Qu’en avez-vous pensé ?
Ce sont des lieux magnifiques, mais j’ai envie de vous répondre,
comme Aimé Césaire assistant à la Sorbonne au premier centenaire de
l’abolition de l’esclavage : « C’est à la fois immense et insuffisant. »
Il faut des musées, des monuments, des stèles un peu partout, afin que
tout le monde puisse enfin prendre conscience de l’ampleur du
traumatisme subi par les Africains.
Pourquoi a-t-il fallu attendre presque deux siècles, depuis
les premières tentatives abolitionnistes, pour que la question du devoir
de mémoire envers les anciens esclaves africains surgisse enfin sur le
devant de la scène nationale?
Les collectivités locales de l’outre-mer commémorent depuis longtemps
l’abolition de l’esclavage, mais rien de tel n’existait sur le plan
national. Traite et esclavage ont été marginalisés dans l’imaginaire
français et l’histoire nationale a été écrite en niant l’existence de
ces événements. La France ne veut pas le reconnaître, mais elle ne s’est
jamais vraiment débarrassée de son vieux fond de racisme.
Comment expliquer autrement les gestes racistes dont Christiane
Taubira a été régulièrement victime pendant ses déplacements en tant que
ministre ? Récemment encore, une ministre du gouvernement a tenu des propos sur les Noirs qui sont inacceptables
et profondément choquants. En même temps, la France est le seul pays à
avoir reconnu la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre
l’humanité. Ce paradoxe est caractéristique du tempérament français.
La question des réparations continue d’animer les débats en
France. Les historiens pointent du doigt l’esclavage inter-africain et
la traite pratiquée par les Arabes, des pratiques qui ont peut-être fait
plus de dégâts dans les sociétés africaines que la traite
transatlantique. Selon vous, est-ce que ces observations relativisent le
poids du traumatisme de la déportation des Africains en Amérique entre
le XVIe et le XIXe siècles?
« Relativiser », à mon avis, est un terme mal choisi, mais il est certain que nous devons reconnaître que les Arabes, eux aussi, ont pratiqué l’esclavage
sur une grande échelle, avec des conséquences douloureuses pour les
sociétés africaines. Cela dit, alors que la traite négrière occidentale
s’est attachée de manière exclusive à l’asservissement des seuls
Africains, les pays musulmans disposaient aussi bien d’esclaves noirs
que d’esclaves blancs. Quant aux rois africains qui ont fourni des
esclaves aux négriers européens, on peut s’interroger sur leurs marges
de manœuvre, dans un contexte de confrontation qui leur était
défavorable, à cause des armes plus évoluées dont disposaient les
Européens.
Maryse Condé, on vous connaît surtout comme romancière, auteure notamment de Ségou,
qui s’inspire de l’histoire africaine et où vous avez raconté la
tragédie de la traite négrière avec force et émotion. Avez-vous trouvé
facilement la documentation sur la période de la traite?
J’ai beaucoup lu les historiens qui ont écrit sur l’Afrique
d’autrefois. Il y a une archive écrite importante sur l’esclavage,
essentiellement européenne, mais il y a aussi une archive orale. J’ai
aussi beaucoup écouté, souvent des personnes très âgées. Elles ont eu la
gentillesse de restituer de mémoire les récits de leurs ancêtres, qui
avaient été enlevés de leurs villages et vendus à des marchands
d’esclaves européens. Je me suis inspirée de leurs récits de traversées
de l’Atlantique dans des conditions atroces.
Mais Ségou (1) n’est pas le seul livre où j’aborde la question de l’arrachement des captifs noirs à leur terre et leurs cultures. Dans Moi Tituba, sorcière noire de Salem
(2), dont l’action se déroule en Amérique, j’ai également raconté les
ravages de l’esclavage. Si je vous parle de ce roman, c’est parce qu’il a
été adapté et sera présenté sur scène, ce 10 mai, à Nancy, par une
comédienne africaine talentueuse, Danielle Gabou. Comme ça, je ne serai
pas totalement inactive pendant cette journée de commémoration, qui
compte énormément pour moi.
(1) Ségou, roman en 2 volumes. Paris: Laffont 1984 et 1985
(2) Moi, Tituba, sorcière noire de Salem. Paris, Mercure de France, 1986
(2) Moi, Tituba, sorcière noire de Salem. Paris, Mercure de France, 1986
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