En 2016, l’immigration de ce continent de 1,2 milliard d’habitants a détrôné les arrivées syriennes, afghanes et irakiennes en Europe.
LE MONDE
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L’année qui vient de s’achever pourrait donc s’imposer comme une transition, un passage de relais entre deux exils. Avec son million de réfugiés en Europe, s’ajoutant aux millions déjà massés en Turquie, au Liban ou en Jordanie, 2015 avait été une « année syrienne », une « année de l’asile », et les esprits sont restés sur cette vision, qui a masqué les autres mouvements de migrations en train de s’affirmer.
Globalement, les ordres de grandeur ont chuté. En 2016, les flux ont diminué des deux tiers (364 000 arrivées sur le Vieux Continent) et ont changé de nature. Les traversées par la Méditerranée centrale (181 000) ont augmenté d’un cinquième, prenant le pas sur les passages par la mer Egée (175 000), divisés par quatre. L’accord entre l’UE et la Turquie, signé en mars 2016 et par lequel Ankara s’engage, moyennant finances, à contrôler l’émigration vers l’Europe, est la première explication à cette baisse des arrivées syriennes en Europe. L’UE salue l’efficacité de cet accord et la réduction des noyades, mais de nombreuses voix dénoncent le blocage de 54 000 Syriens dans des camps en Grèce et l’inhumanité de la situation.
L’italie en première ligne
C’est donc en Italie que s’observe la pression migratoire africaine. Celle-ci transite via la Libye, pays anarchique où les migrants sont victimes des trafics et des pires exactions. « La Libye est un enfer absolu pour les migrants. Ils en parlent avec effroi, plus que de la traversée de la Méditerranée », commente Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).Sur les dix premières nationalités des migrants arrivés en Italie entre janvier et novembre, neuf sont du continent africain, comme l’a comptabilisé l’Organisation internationale des migrations (OIM). Seuls les Bangladais, en 9e position avec 4,4 % des arrivées, viennent rompre cette unité. Principale communauté, les Nigérians ont constitué 21 % des entrants, suivis par les Erythréens (11,7 %), les Guinéens (7,2 %) et les Ivoiriens (6,7 %). Selon Frontex, les ressortissants de ces pays sont dix fois plus nombreux à avoir fait le voyage en 2016 qu’en 2010. L’agence chargée des frontières extérieures de l’Europe estime même que « cette évolution reflète la pression migratoire croissante du continent africain, et plus particulièrement de l’Afrique occidentale, responsable de la majeure partie de la croissance des arrivées par cette route en 2016 ».
Qu’un pays africain prospère rencontre des difficultés, et c’est toute une émigration régionale qui se redirige vers l’Europe.
Aujourd’hui, en France, même si un sur deux seulement obtient le statut de réfugié, les Soudanais se sont situés au 4e rang entre janvier et novembre 2016. A Calais, ils étaient même la nationalité majoritaire dans la « jungle » démantelée en octobre. Peu enclins il y a quelque temps encore à rester en France, ils commencent à y déposer des demandes d’asile. « Nous observons depuis deux ans une montée du nombre de dossiers du Soudan et de l’Erythrée, et une baisse de ceux qui proviennent de République démocratique du Congo », explique Pascal Brice. Les demandes africaines représentaient 39 % des demandes d’asile déposées en France en 2015. Un pourcentage qui ne devrait pas bouger en 2016.
Déjà mise à mal par la crise syrienne, qui a semé le doute sur la gestion de l’espace Schengen et révélé l’incapacité à répartir équitablement les réfugiés entrants, l’Union européenne ne semble pas avoir vraiment pris la mesure du défi auquel elle pourrait avoir à faire face si la migration africaine continue sur sa lancée actuelle.
Mesures insuffisantes
Le sommet de La Valette, qui a réuni à Malte les dirigeants européens et africains, en novembre 2015, a bien été consacré à ce sujet, mais les mesures annoncées ne sont pas jugées suffisantes – en dépit du chèque de 1,8 milliard d’euros signé par l’Union européenne pour ces pays – pour calmer les velléités de départ d’une jeunesse très largement sans emploi et impatiente.Côté français, on insiste sur la nécessité de ne pas avoir avec les pays africains uniquement un rapport punitif – conditionner l’aide au tarissement des flux. L’idéal est de développer des partenariats et d’avoir une approche ciblée : aide au contrôle des frontières et des trafics ; compensation du manque à gagner pour les populations locales dans les pays de transit comme le Niger ; développement ciblé dans les villages de départ (Sénégal, Mali, Nigeria), qui ne profitent pas du décollage économique de leur pays, mais sont toutefois assez riches pour réunir les milliers d’euros nécessaires pour financer le long voyage vers l’Europe d’un des leurs. Cette politique permettrait de réduire des deux tiers le transit à travers le Niger, affirme l’Elysée.
A court terme, les dernières études scientifiques soulignent que le développement d’un pays permet, dans un premier temps, à plus d’individus de disposer des moyens de réaliser leur projet migratoire, et favorise donc les départs. C’est dans un second temps que l’émigration commence à baisser. A condition que l’économie et la démocratie suivent et que la natalité, galopante en Afrique subsaharienne, tombe à des niveaux soutenables.
Aujourd’hui, les Africains du sud du Sahara représentent à peine 10 % des migrants de la planète, et la plupart de ces « déplacés » sont juste passés dans un pays voisin du leur. Selon l’OIM, en 2015, sur les 32 millions qui ont pris la route, la moitié d’entre eux ont posé leur sac sur leur continent. Et l’Union européenne compte près de 9 millions de migrants africains.
Reste que les équilibres peuvent vite basculer. Qu’un pays relativement prospère du continent africain comme le Nigeria rencontre des difficultés économiques ou politiques imprévues, et c’est toute une émigration régionale qui se redirige vers l’Europe. Sur un continent qui abritera 2,5 milliards de personnes, soit un quart de la population mondiale, en 2050, une toute petite augmentation du pourcentage de projets de départ au long cours posera un défi majeur du côté nord de la Méditerranée.
Youth and Leaders Summit 2017 Le Monde organise lundi 16 janvier, en partenariat avec Sciences Po Paris, une journée de débats et de tables rondes sur les crises migratoires. A suivre de 8 h 30 à 18 h30 dans l’Amphithéâtre Boutmy, du 27 rue Saint-Guillaume, Paris 7e.
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Maryline Baumard
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Entretien
« Le Sahel est une bombe démographique »
Pour Michel Garenne, la maîtrise de la surpopulation, négligée au profit du développement, doit devenir une priorité.
Contrairement au reste de l’Afrique, le Sahel, ainsi que quelques pays d’Afrique centrale, continue de voir sa population augmenter massivement. Le Niger détient même le record mondial de fécondité. A moyen terme, rien ne permet d’entrevoir un renversement de tendance. Cette région pauvre et déstabilisée par la poussée de mouvements djihadistes deviendra un des principaux moteurs de la croissance démographique mondiale à l’horizon de la fin du XXIe siècle, selon les projections de la division de la population des Nations unies.
Démographe rattaché au Ferdi (Fondation pour les études et recherches sur le développement international), Michel Garenne a analysé en détail la situation des six pays francophones, Sénégal, Mauritanie, Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad, qui se partagent cette étendue de plus de 5 millions de kilomètres carrés. Il pointe l’échec des politiques de population menées jusqu’à présent et met en garde contre une « situation insoutenable », dont l’une des conséquences sera la migration de plusieurs dizaines de millions de personnes. A l’heure où l’Union européenne entend répondre au problème migratoire par plus de développement, le chercheur exhorte à ne plus laisser la question démographique de côté.
Le ralentissement de la croissance démographique est
à l’œuvre partout en Afrique, sauf au Sahel et dans quelques pays
d’Afrique centrale. Pourquoi?
Les Américains, comme ils l’avaient fait vingt ans plus tôt avec succès en Amérique latine et en Asie, ont essayé, dans les années 1980, de promouvoir des politiques de contrôle des naissances. Mais la crise économique et les plans d’ajustement structurel ont conduit à abandonner les efforts.
Les projections des Nations unies, qui tablent sur
une multiplication par six de la population du Sahel d’ici à 2100, vous
paraissent-elles solides?
Le fait que le Sahel soit souvent perçu comme un espace sous-peuplé joue-t-il un rôle dans cette inertie?
Aux XIXe et XXe siècles, 50 millions d’Européens migrèrent vers les Amériques
En 1975, l’Afrique du Sud avait calculé qu’au-delà de 80 millions
d’habitants, elle devrait faire face à de sévères problèmes de
ressources en eau. C’est pour cela qu’elle a adopté son programme de
planning familial. Elle a anticipé sur les cent ans à venir et c’est ce
qu’il fallait faire.
La situation du Sahel n’est pas comparable à celle de l’Afrique du Sud.
Le faible degré d’éducation n’aide pas mais ce n’est pas un facteur insurmontable. Le Bangladesh est parvenu à faire chuter son taux de fécondité de femmes non éduquées, dominées par leur mari dans des structures patriarcales très dures et très islamisées. L’islam [tous les pays de la région sont majoritairement musulmans, à l’exception du Burkina Faso] n’est pas un handicap. Ainsi, en Iran, le régime des ayatollahs a fait mieux que celui du chah et a induit une transition démographique très rapide.
Faute d’agir, que se passera-t-il ?
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