Immigration : sortir les sans-papiers de l’impasse
Editorial.
Une politique résolue de résorption systématique des situations
aberrantes dans lesquelles certains étrangers sont maintenus pendant des
années aiderait à la fois à abaisser la pression et à légitimer plus
largement les éloignements forcés du territoire.

Editorial du « Monde ».
A quoi sert-il de maintenir dans une situation de précarité des
étrangers sans papiers dont chacun sait qu’ils ne quitteront jamais la
France et qu’il est impossible de les y contraindre ? La question ne
cesse d’envenimer les débats sur la politique d’immigration depuis
quarante ans.
En 1981, une
opération de régularisation massive avait marqué l’arrivée de la gauche
au pouvoir. Dans les années 1990, les occupations de lieux publics,
comme l’église Saint-Bernard à Paris, évacuée par la force en 1996, et
les grèves de la faim de sans-papiers ont provoqué autant de spasmes
aboutissant à des régularisations collectives, comme celle autorisée par
la circulaire Chevènement de 1997, et nourrissant une dramatisation
continue de l’enjeu migratoire qui n’a cessé de faire le jeu de
l’extrême droite.
Ce mode de
gestion par à-coups a heureusement laissé la place à des mécanismes de
régularisation permanente, comme la circulaire Valls de 2012,
établissant des critères objectifs (durée de présence et de
scolarisation des enfants, ancienneté dans le travail) censés éviter les
crises à répétition et qui, bon an mal an, permettent de régler la
situation de quelque 30 000 personnes.
Pourtant,
on estime aujourd’hui à au moins 300 000 le nombre d’étrangers en
situation irrégulière vivant en France. Parmi eux, certains sont des
« ni-ni » : ils ne sont ni régularisés, car ils ne correspondent pas à
l’interprétation des critères retenue par l’administration, ni expulsés,
car cela conduirait par exemple à séparer des enfants – non expulsables
– de leurs parents.
Tout sauf simple
Le
coût politique, financier et social de cette anomalie est lourd. Des
règles non appliquées qui nourrissent les accusations de laxisme. Des
familles hébergées aux frais de la collectivité quand les parents ne
peuvent travailler faute de papiers (les sans-papiers occupent les trois
quarts des chambres d’hôtel réquisitionnées en Ile-de-France). Des
adultes déboussolés et des enfants ballottés.
Pour sortir de cette impasse, un groupe de personnalités vient de proposer, dans Le Monde,
d’élargir et de clarifier les critères de régularisation et, à terme,
de simplifier les conditions d’octroi des titres de séjour afin que
soient mieux respectés des principes républicains comme le droit d’asile
et le droit à la vie familiale. En contrepartie, les obligations de
quitter le territoire, dont seules 14 % sont exécutées, seraient
facilitées.
Trouver
le bon équilibre est tout sauf simple, car il est naïf de nier les
risques d’impopularité et d’appel d’air que fait courir toute annonce
sur le sujet. Pourtant, explorer les pistes ainsi suggérées apparaît
comme une nécessité, si l’on veut priver les controverses politiques
délétères sur l’immigration d’un de leurs principaux carburants: l’idée
erronée selon laquelle les autorités sont impuissantes à maîtriser le
cours des choses et tolèrent des situations hors la loi.
Une
politique résolue de résorption systématique des situations aberrantes
dans lesquelles certains étrangers sont maintenus pendant des années
aiderait à la fois à abaisser la pression et à légitimer plus largement
les éloignements forcés du territoire. Cela suppose de la part du
gouvernement un discours de vérité assumant une politique humaine
conforme aux valeurs que porte la France, et l’admission du fait que des
règles inapplicables affaiblissent l’État de droit et doivent être
aménagées. Sauf à souhaiter que le chiffon rouge de l’immigration flotte
de plus belle dans les batailles électorales à venir.
Immigration : des propositions-chocs pour « simplifier » et « ouvrir » le droit au séjour
Prenant le contre-pied de la politique en vigueur, un collège de
onze experts prône une simplification du droit des étrangers et la
régularisation des personnes aujourd’hui ni régularisables ni
expulsables.

Alors
que le gouvernement cherche à enrayer l’augmentation du nombre de
demandes d’asile, à durcir les critères de naturalisation ou à renforcer
la lutte contre la fraude en matière de regroupement familial, un
groupe d’experts sur l’immigration prend le contre-pied de la politique
en vigueur.
Dans un rapport
d’une centaine de pages adressé, mardi 21 janvier, au gouvernement et
au président de la République, et obtenu par Le Monde, les
auteurs issus de la haute administration, du monde de l’entreprise,
syndical, associatif ou universitaire, préconisent une ouverture du
droit des étrangers « afin qu’un plus grand nombre de personnes puissent relever dans des délais rapides d’un titre de séjour ».
« Nous voulons tous sortir d’une frustration au regard de la pauvreté du débat et des politiques publiques depuis trente ans »,
souligne Pascal Brice, ancien directeur de l’Office français de
protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et l’un des initiateurs du
projet. « Tout est marqué par une volonté malthusienne de dissuasion
mais rien n’est prévu pour sortir d’un système qui fabrique des
sans-papiers ; ça ne fait qu’ajouter au désordre », poursuit-il.
Les
auteurs du rapport – ils sont onze parmi lesquels figurent aussi le
préfet honoraire et président de l’association d’hébergement Coallia,
Jean-François Carenco ; l’ancien directeur général des étrangers en
France (de 2012 à 2015) au ministère de l’intérieur, Luc Derepas ; ou
encore l’historien Patrick Weil – partagent le constat d’une politique
en « échec » qui, face à des flux constants, ne régularise pas suffisamment ni ne reconduit.
« Critères de séjour plus simples et plus réalistes »
Résultat : il y aurait au bas mot 300 000 sans-papiers en France. « On crée un limbe juridico-administratif, regrette Luc Derepas. Des gens sont là, travaillent, peuvent payer des impôts mais font l’objet d’obligations de quitter le territoire français. » « Longtemps,
notre pays a privilégié des régularisations collectives et cycliques
ayant pour vocation d’effacer les effets de ces dysfonctionnements, écrivent les auteurs. Il faut en sortir. »
Alors que le rythme des régularisations tourne autour de 30 000 délivrances de titres par an, le rapport préconise d’« apurer »
la situation en régularisant davantage et notamment les personnes qui
ne sont pas expulsables tels que les parents d’enfants nés en France et
scolarisés, les conjoints d’étrangers en situation régulière, et tout
salarié en contrat ou avec une promesse d’embauche. « Quel que soit leur nombre, elles ne repartiront pas », justifie Jean-François Carenco.
A
plus long terme, le collège d’experts propose de sortir la politique
migratoire de la tutelle du ministère de l’intérieur pour la rattacher à
un haut-commissariat auprès du premier ministre. Surtout, il appelle à
définir « des critères de séjour plus simples et plus réalistes », explique Luc Derepas.
Le
rapport suggère ainsi de remplacer la multitude de titres existants
(douze cartes temporaires, quinze cartes pluriannuelles…), par cinq
catégories. « On a un besoin de lisibilité », défend Olivier Gainon, l’un des coauteurs, chef d’entreprise et ancien directeur de cabinet de Pierre Gattaz au Medef.
« Chicanes administratives »
Dans la société nautique qu’il dirige, M. Gainon expérimente un besoin de main-d’œuvre étrangère pour occuper les « métiers difficiles à pourvoir » mais
il a aussi été confronté aux méandres de l’administration lorsque l’un
de ses salariés a voulu renouveler son titre de séjour. « On a galéré, ça a traîné, se souvient-il. Il
a fallu qu’on s’inquiète auprès des pouvoirs publics. Ce qui est
fatiguant, c’est l’absence de perspectives et de compréhension du
système. »
« Arrêtons de forcer les gens à des chicanes administratives qu’on n’aurait jamais l’idée d’appliquer aux Français, insiste Luc Derepas.
Cela crée des externalités négatives, qui vont des campements de rue au
travail clandestin en passant par un phénomène de décohésion sociale
qui créé un malaise pour tout le monde. »
Le
collège veut aussi instituer une durée minimale du titre de séjour à
cinq ans – contre un an aujourd’hui – et le remplacement des titres pour
dix ans par des titres permanents. L’administration aurait six mois
pour examiner une demande.
Outre
les catégories classiques d’immigration familiale, étudiante et
professionnelle, le collège propose un nouveau titre de séjour,
humanitaire, pour les personnes vulnérables victimes de violences ou de
traumatismes mais ne relevant pas de l’asile.
Audace politique
Dans une perspective d’« équilibre »,
le rapport appelle à améliorer l’efficacité des reconduites pour les
personnes ne relevant d’aucun titre. Aujourd’hui, seules 14 % des
obligations de quitter le territoire français sont exécutées.
Tout
en revenant à une durée de rétention administrative maximale de
quarante-cinq jours (au lieu de quatre-vingt-dix jours depuis la loi
Collomb de 2018), le rapport suggère notamment d’améliorer l’obtention
des laissez-passer consulaires en renforçant la coopération avec les
principaux pays d’origine. « Plus légitimes, car prises selon des
critères transparents plus conformes à la situation des personnes, ces
décisions seront de nature à rencontrer un plus grand consensus social », espèrent les auteurs. Aujourd’hui, près de 80 % des décisions négatives font l’objet de recours contentieux. « Ça restera une question difficile », concède toutefois Luc Derepas.
En
dehors de la refonte de la politique migratoire qu’ils encouragent, et
sur laquelle ils font preuve d’une réelle audace politique, les auteurs
du rapport se sont aussi penchés sur la politique d’asile.
Outre
des propositions classiques d’harmonisation européenne des conditions
d’accueil et d’examen des demandes, ou de créations de « centres fermés » dans les ports méditerranéens, les auteurs ébauchent une « convention internationale pour la protection des déplacés environnementaux ». Ils recommandent enfin de « restreindre unilatéralement » l’application
du règlement de Dublin pour permettre à des Etats d’examiner les
demandes d’asile des personnes déjà enregistrées dans un autre pays de
l’espace Schengen, et ainsi lutter contre l’errance des migrants sur le
continent.
Reste à voir l’accueil qui sera réservé à leurs travaux. « Il y a plus de maturité dans la société que le débat politique ne le laisse penser », veut croire Luc Derepas.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire