jeudi 20 mai 2021
Les mineurs au coeur de la vague d'émigration à Ceuta
Source AFP
Publié le 20/05/2021 à 10h02
Mohamed, 17 ans, a tout laissé tomber cette semaine, ses études en lycée professionnel, ses examens finaux et sa famille: son seul projet est désormais de rallier l'enclave espagnole de Ceuta, comme des centaines de mineurs marocains qui ne voient aucun avenir dans leur pays.
Depuis lundi, une marée humaine de plus de 8.000 candidats à l'exil, en grande majorité des Marocains, a rejoint sans entrave le petit port espagnol à la faveur d'un relâchement des contrôles frontaliers: parmi eux, un nombre impressionnant de jeunes partis seuls ou d'enfants en bas âge, emmenés par leur famille.
L'image d'un bébé sauvé de la noyade par un agent de la garde civile espagnole a fait le tour du monde, suscitant l'effroi sur les réseaux sociaux. Mais on a aussi vu des adolescents seuls, parfois très jeunes, tenter leur chance à la frontière, arriver par la mer sur la plage espagnole, se faire refouler ou traîner dans les rues de Ceuta.
"Je cherche ma fille de 15 ans, elle est sortie de la maison pour traverser, une autre fille m'a dit l'avoir vue à Ceuta, je n'ai pas de nouvelles, personne ne sait rien", déclare, visiblement inquiet, Abdelhak Bouchahtaoui, un quinquagénaire croisé près de la frontière.
De nombreux parents s'approchent des barrières érigées sur la route vers l'Espagne dans l'espoir d'avoir des nouvelles de leurs enfants partis de l'autre côté.
Venue en catastrophe de Tanger, Ouafa a été "soulagée" de retrouver son fils de 15 ans, même si elle a, dans un premier temps, "espéré qu'il ait réussi à passer la frontière".
"Aucun avenir"
"Ma mère ne cesse de m'appeler pour que je revienne mais l'aventure ne me fait pas peur", lâche Abdellah, 16 ans, refoulé mardi par les gardes espagnols.
Ce jeune déscolarisé depuis deux ans et employé comme mécanicien à Tanger a passé la nuit dans un jardin près du passage frontalier. D'autres ont investi les ruelles de Fnideq, où les habitants leur ont donné à boire et à manger.
"Je n'ai aucun avenir ici, je veux travailler pour aider ma famille", peste Mohamed, arrivé mercredi à Fnideq après une longue marche.
Adossé sur un mur en bas d'un immeuble de la petite ville côtière marocaine, il ne regrette pas d'avoir abandonné ses études pour tenter sa chance.
Comme lui, la plupart des mineurs désireux de s'exiler viennent d'un milieu défavorisé, sont déscolarisés et exercent parfois des petits métiers pour survivre. A Fnideq, tous rêvent d'une nouvelle brèche dans les contrôles frontaliers.
Au moins 4.800 migrants, dont 1.500 mineurs, ont été expulsés depuis lundi, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur espagnol.
Cet afflux "impressionnant" de mineurs vers la frontière est une première d'après Omar Naji, un militant marocain des droits humains qui suit la question migratoire.
"Leur expulsion par l'Espagne est contraire aux traités internationaux des droits des enfants", s'indigne-t-il. "Les autorités marocaines les ont impliqués pour faire pression sur l'Espagne à des fins politiques", condamne-t-il du même souffle.
"Je retenterai ma chance"
Mercredi après-midi, le flux vers Ceuta a peu à peu décru. Les quelques téméraires qui tentaient de rallier l'enclave à la nage ont été rapidement ramenés vers la rive marocaine par la marine royale. Côté espagnol, ceux qui arrivaient par la mer ont été très vite appréhendés et ramenés vers la frontière.
Abdellah se résigne à attendre, ayant de quoi "survivre quelques jours". Son compagnon Hassan, 17 ans, a en revanche décidé de rentrer à pied chez lui, à Tanger. Il "rêve de vivre en Europe" mais ne veut pas "prendre le risque de partir aujourd'hui". "Un jour ou l'autre, je retenterai ma chance et j'y arriverai", dit-il.
En 2018, le Conseil économique, social et environnemental du Maroc (CESE), un organisme officiel, s'était alarmé du fossé "vertigineux" séparant les 11 millions de jeunes Marocains du reste de la société et du "défi majeur" posé par leur insertion sociale.
Décrochage scolaire, chômage, emplois peu qualifiés, bas salaires, absence de couverture sociale... les jeunes de 15-34 ans, qui représentent un tiers de la population, restent les grands oubliés de la croissance, selon ce rapport.
La situation s'est encore aggravée avec la crise liée à la pandémie du Covid-19. L'an dernier, deux jeunes urbains sur cinq étaient au chômage, selon les chiffres officiels.
Les dessous de l'infox, la chronique
Ceuta: le mythe de la passoire migratoire européenne démenti par les faits
RFI
Publié le : 21/05/2021
L’arrivée à Ceuta, enclave espagnole frontalière du Maroc, de 8 000 personnes candidates à l’exil, a été très commentée sur les réseaux sociaux. Sur les sites d'extrême droite, l’Union européenne est présentée comme une passoire où tout le monde peut entrer. Le problème de l’immigration clandestine est un sujet propice à la désinformation et à la récupération politique, qui plus est en période électorale.
C’est en effet un thème cher à l’extrême droite, et ce mardi, à peine 48 heures après le déclenchement de cette arrivée massive à Ceuta, on pouvait lire sur le compte Twitter de Marine Le Pen : « contrairement aux paroles rassurantes de nos dirigeants, l’UE est une passoire où tout le monde entrer ! Il faut que cela cesse ! ». Une publication retwittée plus de 1 500 fois et relayée massivement sur différents réseaux, même après que les trois quarts de ces personnes aient été expulsées manu militari vers le Maroc ou y soient retournées d’elles-mêmes. Alors non, l’Europe n’est pas cette « passoire migratoire », image que l’extrême droite assène depuis fort longtemps, et que reprennent les adeptes des théories du « Grand remplacement ». Il suffit de regarder les chiffres des entrées dans l’UE en forte baisse sur les cinq dernières années, comme le précise Virginie Guiraudon, directeur de recherche du CNRS, au centre d’études européennes de Sciences po, spécialiste des politiques migratoires.
« Il y a eu énormément d’arrivées en 2015, une chute déjà en 2016. Donc on est passé de plus d’un million en 2015 à environ 350 000 en 2016. En 2019, ils étaient 91 000 arrivés à l’est et 128 000 au total. Puis en 2020, 39 000 arrivées seulement dans toute l’Union européenne, c’est-à-dire, Grèce, Bulgarie jusqu’aux Canaries. Les chiffres n’ont jamais été aussi faibles, depuis ce pic de 2015 dû à la guerre en Syrie bien sûr », assure la chercheuse.
Ceuta, point de passage très contrôlé
Au-delà des chiffres, le recours aux expressions « Europe passoire », ou « invasion » telles que relayées dans de nombreux tweets, est surtout le fait des milieux d’extrême droite anti-migrants, et ce de longue date. Mais il ne correspond pas à la réalité. L’Union européenne et l’agence Frontex, qui protègent les frontières extérieures de l’Union ont beaucoup investi pour le contrôle des flux migratoires, notamment à Ceuta. Les organisations de défense des droits de l’homme parlent même d’une Europe forteresse.
« C’est l’Union européenne, mais ce n’est pas l’espace Schengen. Les personnes qui arrivent à Ceuta ne sont pas dans l’espace Schengen. Europe passoire ? Non, il faut savoir aussi qu’il y un immense mur, des radars, et il y a en tout cas normalement une coopération entre le Maroc et l’Espagne qui fait que les personnes qui essaient de rester à Ceuta - et pas juste de venir y faire du commerce - finalement sont renvoyées immédiatement au Maroc », détaille Virginie Guiraudon.
Manipulation de l’information d’un côté, manipulation des migrants aussi
Au bout du compte, ce sont les candidats à l’exil, que les gardes-frontières marocains ont ponctuellement laissés passer, et qui auront fait les frais d’une brouille diplomatique entre le Maroc et l’Espagne, sur fond de désaccord sur l’épineux dossier du Sahara occidental. Ce jeudi 21 mai 2021, la zone frontalière retrouvait le calme. Selon les autorités espagnoles, 6 000 candidats à l’exil étaient de retour au Maroc. Une crise exploitée d’emblée par les milieux d’extrême droite pour susciter la peur des populations locales, dans un contexte tendu de part et d’autre de la frontière, en raison de la crise sanitaire du Covid-19 et de la dégradation des économies de la région. En communicants sur cet événement d’une ampleur exceptionnelle, il s’agissait aussi de brocarder les institutions européennes. Certains, comme le leader du parti Les Patriotes, Florian Philippot, ont saisi l’aubaine pour multiplier lancer un appel au #frexit : « seule solution pour empêcher leur arrivée en France : sortir de l’UE et de Schengen pour reprendre le contrôle ». Une tentative caractérisée d’instrumentaliser un fait d’actualité lié à l’immigration en période préélectorale.
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