Les
cercueils des victimes du naufrage du 3 octobre 2013, au large de
Lampedusa en Italie, dans une hangar de l'aéroport de la ville.
De Calais en France à Lampedusa en Italie, la question des flux migratoires laisse les pays européens désemparés. Chaque mois, des
centaines de migrants perdent la vie en Méditerranée, des tragédies qui
rappellent que le tout sécuritaire ne pourra jamais tout régler.
Portrait du migrant calaisien, par-delà les idées reçues
Par Maryline Baumard, Le Monde.fr
Par Maryline Baumard, Le Monde.fr
Sous les barbes d’une semaine et la
crasse d’une vie sans douche se cache Abasou l’enseignant, Sam
l’ingénieur ou Abdelatif le banquier. Le Secours catholique, une des
associations les plus présentes à Calais (Pas-de-Calais), a voulu faire
savoir qui sont les 2 000 migrants stationnés dans cette ville. Les
humanitaires ont mené 54 entretiens approfondis
qui rappellent que 48 % des migrants appartenaient aux classes sociales
supérieures de leur société d’origine, et 20 % aux classes moyennes.
Aujourd’hui,
la fatigue et la faim ont gommé ce statut d’antan et fait oublier le
niveau culturel de cette population reléguée aux confins de la ville,
sur une ancienne décharge. Si l’enquête n’a pas une visée scientifique,
elle s’est attachée à respecter la démographie des « jungles »
calaisiennes. Ainsi, elle reflète les nationalités les plus présentes
dans la ville portuaire avec un panel comprenant entre autres 13 Erythréens, 12 Soudanais, 7 Afghans et 4 Syriens.
En moyenne, ces migrants campent depuis
75 jours dans la ville, ont vécu une odyssée de 952 jours et ont
déboursé 3 052 euros avant de s’échouer sous les bâches des camps de
fortune. Le plus rapide a mis 56 jours pour rallier la France. Le plus
lent traîne sur les routes depuis 18 ans (6 898 jours). C’est une
exception, certes, mais son parcours illustre comment la moitié des
exilés a tenté de s’installer dans des pays voisins du sien avant de se
résoudre à tenter l’Europe. Robel, un Erythréen, est ainsi resté trois
mois en Ethiopie avant de tenter le Soudan, puis la Libye, puis
l’Italie. C’est aussi très souvent le cas des Syriens qui se déplacent
dans un premier temps vers le Liban, la Jordanie ou la Turquie avant
d’entamer le grand voyage.
En quittant leur maison, seuls 20 des
54 migrants interrogés avaient en tête la Grande-Bretagne comme lieu où
poser leur sac. Pour les autres, l’idée s’est installée au fil du
voyage, par élimination. Ils ne se décident pas en fonction de la
diaspora puisque contrairement aux idées qui circulent, seul un tiers
(38 %) des exilés ont une attache familiale outre-Manche. Hamin, qui
rêve de passer la frontière, ne cherche qu’« un pays où vivre en paix, où être traité comme un être humain. C’est tout ! »
Le cauchemar du voyage
Pour
46 %, le choix de l’Angleterre s’est fait sur les conseils de leur
communauté. Treize l’ont décidé après une « analyse raisonnée » des
lieux où leurs compétences seraient le plus utiles, notamment le
maniement de la langue anglaise. Deux ont expliqué aux enquêteurs s’être
fié à leurs rêves et deux encore ne savent plus trop pourquoi ils
poursuivent cet objectif. Aucun n’a resservi le discours stéréotypé qui
voudrait que les passeurs soient maîtres du jeu et « survendent » la
Grande-Bretagne comme un eldorado. Une version pourtant régulièrement
servie quand il s’agit d’expliquer pourquoi ils ne souhaitent pas
s’installer en France.
Leur accès à l’Europe s’est fait par la
Méditerranée, au départ de la Libye, pour 30 d’entre eux. Un cauchemar
sur lequel tous s’arrêtent longuement dans leur récit. Méheret, une mère
de famille qui a voyagé avec ses deux enfants se souvient de la peur
doublée d’une « obligation de faire confiance ». D’autres
racontent les canots pneumatiques qui se dégonflent, les jours entiers
passés sur les eaux à errer, ou les passeurs qui surchargent l’esquif
jusqu’à l’improbable.
Cette Méditerranée centrale est la voie la
plus classique d’entrée sur le vieux continent ; celle qui a amené
170 000 exilés sur les côtes italiennes en 2014. Huit des 54 migrants
écoutés ont emprunté une route plus orientale, en longeant les côtes est
de la Méditerranée pour débarquer en Grèce. Et 6 sont passés par la
route des Balkans qui fait entrer dans l’espace Schengen à pied, par la
Hongrie.
Seuls 28 % se disent en bonne santé
Pour
les deux tiers d’entre eux (36 migrants sur 54), le départ s’est décidé
suite à des persécutions ou par peur d’en être victime. Pourtant, quand
ils demandent l’asile en France, à peine un migrant installé à Calais
sur deux l’obtient. Et encore les « Calaisiens » ont un meilleur taux
d’acceptation que les autres demandeurs. Le Secours catholique analyse
ce résultat discordant par le fait que « 33 des 54 personnes interrogées ont de l’asile une représentation insuffisamment poussée pour être en mesure de l’obtenir ».
En
réalité, le statut de réfugié est octroyé à partir d’un récit fait à un
officier. Il faut être crédible, savoir raconter, convaincre. Dans le
panel du Secours catholique, seules 15 personnes vont demander la
protection de la France, 29 celle de la Grande-Bretagne. Quelle que soit
leur histoire, 5 ne demanderont pas ce statut. Dans ce dernier groupe,
certains disposent déjà du statut de réfugiés en Italie ou en Espagne.
Ils en sont repartis après de vaines tentatives pour y trouver un
travail. Même à 400 euros par mois on ne trouve rien, explique un des
migrants.
Au moment de l’entretien, seuls 28 % d’entre eux
s’estimaient en bonne santé. Ashraf a perdu dix kilos en deux mois. Adam
fouille dans les poubelles parce que le seul repas journalier qu’on lui
sert ne lui suffit pas. Khan en a assez d’être pris pour un mendiant,
alors qu’il avait dix salariés au Pakistan. Salah, lui, voit des gens
devenir fous pendant qu’Ahmed Shah regrette que l’islam chiite interdise
le suicide.
« L’Europe a son prix » s’était entendu dire Mataï qui « ne s’imaginait pas qu’il serait aussi élevé ».
Les émouvantes confidences des migrants de Calais
Par Caroline Piquet, Le Figaro.fr, 16 avril 2015
Dans un rapport publié jeudi, le Secours catholique a interrogé 54 migrants, dressé leur portrait et retracé leur parcours.
Qui sont les migrants de Calais? Comment
vivent-ils leur exil? Pourquoi veulent-ils passer en Angleterre? Telles
sont les questions auxquelles le Secours catholique a tenté de répondre
dans un rapport publié ce jeudi. En interrogeant 54 migrants,
l'association a dressé le portrait de ces hommes, retracé leur parcours
et fait parler ceux qu'on entend rarement dans les médias. Ce travail
d'enquête* mené fin 2014 a pour objectif de nourrir une mission de
réflexion lancée par le ministère de l'Intérieur l'été dernier. Deux
experts missionnés par Bernard Cazeneuve doivent analyser la situation
des exilés et proposer des solutions pour sortir Calais de l'impasse
d'ici le mois de mai, date à laquelle ils devront rendre leurs
conclusions. Si l'étude du Secours catholique est loin d'être exhaustive
et ne représente qu'un échantillon de 54 personnes sur les 1900
migrants bloqués actuellement dans la ville portuaire du Pas-de-Calais,
elle permet de mieux comprendre leur situation et leur parcours.
Radioscopie.
(1) Les entretiens individuels ont été menés en novembre et décembre 2014. Ils ont été effectués individuellement, dans des voitures ou dans les locaux du Secours catholique. Les migrants interrogés ont été repérés sur les lieux de «jungle» et de squat.
(2) Jérôme Vignon, président de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) et au préfet Jean Aribaud.
Jeunes et célibataires
A Calais, cohabitent plus d'une dizaine de nationalités: les migrants sont soudanais, érythréens, afghans, syriens, pakistanais, égyptiens, kurdes d'Irak ou encore éthiopiens, marocains et mauritaniens. Les exilés sont très majoritairement des hommes jeunes, célibataires, sans familles à charge. La moyenne d'âge tourne autour des 27 ans. Sur les 54 migrants interrogés, près de la moitié appartiennent à des catégories socioprofessionnelles supérieures: ils sont par exemple enseignants, ingénieurs, étudiants, banquiers, etc.Les motifs de leur départ
La majorité des migrants interrogés (67%) ont expliqué avoir fui leur pays en raison des persécutions subies et 22% par crainte d'être la cible d'attaques. Dans ces cas-là, les causes de départ sont incontestablement liées aux contextes géopolitiques locaux. C'est notamment le cas des Soudanais, qui ont tenté d'échapper au génocide des populations africaines du Darfour par le gouvernement de Karthoum et les Janjawids, sa milice armée. «Ma ville a été attaquée, j'ai été incarcéré et torturé pendant un mois et dix jours», témoigne Fouad, un ouvrier agricole de 32 ans. Quand ils ne fuient pas la guerre, ils tentent de quitter une dictature ou un climat d'insécurité aiguë. Ici, un étudiant érythréen de 24 ans a été emprisonné et battu pour avoir liké une page Facebook. Là, un collégien afghan de 15 ans a fui le pays car «là où je vis, il y a des Talibans, pas d'école et pas de sécurité. C'est ma famille qui a décidé de me faire partir». Sur les 54 personnes interrogées, seules trois sont parties pour des motivations économiques.Le parcours vers l'Europe
Les exilés de Calaisis sont partis depuis 952 jours, soit environ deux ans et demi, affirme encore le rapport. La majorité d'entre eux rejoignent l'Europe via la Libye, en embarquant sur un bateau de fortune vers l'Italie. Moins nombreux, certains entreprennent le voyage à pieds, traversant l'Iran, la Turquie avant de passer en Europe centrale. Pour le Secours catholique, le passage vers l'Europe est toujours risqué et difficile: «Pour eux, il a fallu passer des heures, voire des jours, sur des navires de fortune, à la merci de passeurs souvent violents pour faire supporter aux exilés des conditions très difficiles: bateaux surchargés, absence de nourriture ou d'eau, mauvais traitements…»Le prix du voyage
Le coût moyen du voyage s'élève à 3000 euros. «Les sommes dépensées par les exilés pour venir se réfugier en Europe sont très importantes au regard des niveaux de vie» des pays de provenance, relève l'étude. Au Soudan, le salaire moyen annuel par habitant est de 1450 dollars, d'après la Banque mondiale alors qu'il est de 570 dollars en Afghanistan. «Le coût moyen d'un voyage est ainsi de l'ordre de deux ans de salaire moyen soudanais ou de cinq ans de salaire afghan», résument les auteurs. Pour les Syriens, la facture dépasse les 5000 euros.Le rêve de la Grande Bretagne? Pas toujours
Fait peu connu: près de la moitié des exilés ont tenté de s'installer dans un pays voisin du leur, avant de partir pour l'Europe. Mais voyant les mauvaises conditions d'accueil (persécutions, absence d'emploi, etc), ils ont poursuivi leur voyage. Youssef, commerçant de 25 ans, parti du Soudan, a bien tenté de rester en Libye. Sauf que «tu peux être tué à tout moment, pour rien, raconte-t-il dans le rapport. Des enfants de 12 ans ont des armes, des personnes te mettent en prison et on appelle ta famille pour demander 1000 dinars pour ta libération. Je suis resté neuf mois en Lybie avant de partir pour l'Italie». Au final, la majorité des personnes entendues n'avaient pas choisi de pays de destination quand ils ont quitté leur pays. «Rares sont ceux qui ont d'ailleurs choisi de partir pour le Royaume-Uni au moment de leur départ», notent les auteurs du rapport, rappelant que leur but est surtout de trouver un pays d'accueil pour «vivre en paix». Et quand ils hésitent sur leur destination, ils se basent avant tout sur les conseils de «leurs compatriotes», seules personnes à qui ils font véritablement confiance.Désillusion à Calais
Les migrants sont à Calais depuis 75 jours en moyenne et vivent dans des conditions qu'ils ressentent comme «inhumaines», malgré le travail des associations sur place. «Je n'arrive pas à dormir tellement j'ai froid, confie Mohammed, 27 ans. Je ne mange qu'un repas par jour. Je n'ai pas de vêtements propres et je ne peux pas prendre de douche». Professeur d'anglais syrien, Mohamad est à bout: «Certaines fois, je regrette d'être venu. Je risquais la mort en Syrie mais, ici, j'ai l'impression de mourir chaque jour un petit peu».Leur projet central: demander l'asile
Une majorité des exilés interrogés souhaitent faire une demande d'asile en Grande Bretagne (54%), comme en témoigne Nasseredin, un agriculteur soudanais de 29 ans: «Je ne sais rien de l'Angleterre mais je pense que, là-bas, c'est mieux qu'ici où je suis maltraité. La France, c'est bien ; mais le début, c'est dur, il n'y a pas d'accueil. Les chiens sont mieux traités que nous. Ils se douchent, ont des manteaux, des couvertures, une maison. J'ai peur de demander l'asile ici en France et de me retrouver dehors». Par ailleurs, un quart des migrants veulent demander l'asile en France (24%). Adam Saleh, ouvrier agricole au Soudan, se montre motivé: «Je serai un bon Français. Je serai au service de la France, promet-il. Plus concrètement: j'apprendrai le français et je ferai ce que je trouverai». Pour les autres, leur choix est plus incertain (5,5%), une petite partie veut rester sans papier (9%) et une autre veut retourner au pays (5,5%).Et si leur projet ne se concrétise pas?
Près de 70% des migrants interrogés ne voient aucune alternative. Quant aux autres, ils imaginent un plan de secours: «Je chercherai ailleurs jusqu'à ce qu'un pays m'accueille. Je ne connais pas le mot «renoncer», sinon j'aurais [déjà] renoncé en Lybie», répond Mohamed, un carreleur de 27 ans. «Je rentrerai en Syrie, si la situation s'améliore. C'est mon seul amour», témoigne à son tour un professeur d'anglais. Abattu, Ahmad, infirmier de 25 ans ne voit pas vraiment d'autre issue: «Je ne pourrai plus vivre dans ce monde».(1) Les entretiens individuels ont été menés en novembre et décembre 2014. Ils ont été effectués individuellement, dans des voitures ou dans les locaux du Secours catholique. Les migrants interrogés ont été repérés sur les lieux de «jungle» et de squat.
(2) Jérôme Vignon, président de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) et au préfet Jean Aribaud.
3.072 migrants sont morts en Méditerranée en 2014
Par L'Obs avec AFP
Un macabre record, loin devant le pic de 2011, lorsque 1.500 décès avaient été enregistrés.
Plus de 3.000 migrants ont péri en Méditerranée depuis janvier, soit plus du double que lors du pic de 2011, année du Printemps arabe, a déploré lundi l'Organisation internationale pour les migrations.Depuis 20 ans, traverser la Méditerranée constitue le périple le plus mortel pour les migrants irréguliers. Depuis le début de l'année, l'OIM a enregistré la mort de 4.077 migrants irréguliers dans le monde, dont les trois quarts -- 3.072 - en Méditerranée.
Depuis l'an 2000, plus de 22.000 migrants ont perdu leur vie en Méditerranée.
Pour la Méditerranée, "2014 est l'année la plus meurtrière", loin devant le pic de 2011, lorsque 1.500 décès avaient été enregistrés (en prenant les neuf premiers mois de l'année).
De nombreux Syriens et Erythréens
La majorité des migrants qui sont décédés aux portes de l'Europe - par noyade, asphyxie, faim ou froid - étaient originaires d'Afrique et du Moyen-Orient, selon les statistiques publiées par l'OIM.Au total, au moins 40.000 migrants sont décédés dans le monde depuis l'an 2000 en tentant d'entrer en Europe, aux États-Unis, en Australie ou dans d'autres pays.
"Depuis un an, l'augmentation du nombre de morts s'explique surtout par la progression des morts en Méditerranée", explique l'OIM, qui reconnaît ne pas comprendre très bien cette tendance.
Cela "reflète probablement une augmentation spectaculaire du nombre de migrants qui tentent de rejoindre l'Europe. Plus de 112.000 migrants en situation irrégulière ont été détectés par les autorités italiennes au cours des huit premiers mois de 2014, près de trois fois plus que dans l'ensemble de l'année 2013", considère l'OIM.
Les plus nombreux à être arrivés en Italie cette année sont les Syriens, dont le pays est ravagé par une guerre civile depuis plus de trois ans et demi, et les Erythréens, qui fuient leur pays pour échapper à la répression brutale du pouvoir, au service militaire à vie, et au travail forcé, non rémunéré et à durée illimitée.
Sur le même sujet: La Méditerranée, cimetière migratoire, Médiapart
http://www.mediapart.fr/dossier/international/la-mediterranee-cimetiere-migratoire
http://www.mediapart.fr/dossier/international/la-mediterranee-cimetiere-migratoire
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire