Source: Les Décodeurs - Venons-En Aux Faits, Le Monde.fr, 06.05.2015
Par Maxime Vaudano
Alors que les drames migratoires dans la Méditerranée se sont hissés
au sommet de l’agenda politique européen ces dernières semaines, les
critiques se multiplient en France contre la politique d’asile
française, jugée trop généreuse par la droite et l’extrême droite.
1. Une explosion du nombre de demandeurs d’asile ?
Ce qu’a dit Roger Karoutchi :
« Ce qui est inconséquent, Monsieur le Premier Ministre, c’est d’accepter le fait qu’il y ait 65 000 demandeurs d’asile par an, contre 35 000 par an il y a 5 ans. […] C’est de faire en sorte que notre pays accordant environ 10 000 à 15 000 statuts de réfugiés par an, et ne raccompagnant réellement qu’un maximum de 5 000 déboutés du droit d’asile aux frontières, nous créons nous-mêmes 40 000 à 45 000 sans papiers chaque année », a accusé le sénateur UMP des Hauts-de-Seine en réponse à Manuel Valls.
Pourquoi c’est plutôt vrai
Selon les sources, la France a en effet accueilli 59 000 à 63 000
demandeurs d’asile en 2014, en nette augmentation par rapport à il y a
cinq ans, selon l’Office français de protection des réfugiés et
apatrides (Ofpra). Il ne faut toutefois pas oublier que nous ne faisons
que retrouver les niveaux de 2001-2004, et n’atteignons pas encore le
pic de 1989, lié notamment à la demande en provenance de la Turquie et
du Zaïre.
Demandes et admissions à l'asile en France
1986
● Demandes: 26 290
● Admissions: 10 645
● Demandes: 26 290
● Admissions: 10 645
Source : OFPRA
Or, comme le souligne M. Karoutchi, cette forte hausse de la
demande ne s’accompagne pas d’un effort supplémentaire de la France pour
accepter ces demandes d’asile, dont le nombre reste stable autour de
10 000 à 15 000 par an depuis une décennie.
2. Une machine à sans papiers ?
Que
deviennent donc ces « déboutés » du droit d’asile ? L’immense majorité
d’entre eux bravent leur obligation de quitter le territoire français
(OQTF), restent clandestinement en France et se transforment en sans
papiers, selon Roger Karoutchi. Un argumentaire également développé par
Marine Le Pen lors de son discours du 1er mai :
« [Le droit d’asile] est devenu une nouvelle porte d’entrée [de l’immigration] quand on sait qu’à peine 1 % des déboutés sont finalement expulsés. »
Pourquoi c’est certainement faux
En citant ce chiffre, la présidente du FN fait référence à un rapport de la Cour des comptes en préparation, dont Le Figaro (lien payant) a publié une version provisoire en avril, très critique sur le coût du système d’asile français.
Dans
ce document, les sages de la rue Cambon avancent en effet cette
estimation de 1 % de départs effectifs des déboutés en se basant sur des
chiffres du ministère de l’intérieur. Problème : ledit ministère a
indiqué à Metronews que ce chiffre n’était « pas juste ». « La
Cour semble avoir fait un comptage manuel sur une période de 5 mois,
entre janvier et mai 2014, qui n’est pas très représentative », a expliqué le ministère à nos confrères. A l’AFP, une source ministérielle évalue plutôt un chiffre oscillant « autour de 10 %, voire 20 % » (ce qui se rapproche des calculs de la Cimade).
Au-delà
de ces querelles de chiffres, beaucoup s’accordent toutefois sur le
fait que la tolérance de la politique d’éloignement alimente
substantiellement le nombre d’étrangers en situation irrégulière sur le
sol français.
3. Un détournement de l’asile par l’immigration économique?
Lors de son discours du 1er mai, Marine Le Pen a également assuré que :
« Le droit d’asile, que nous reconnaissons comme un droit individuel réservé aux victimes d’oppressions politiques, a été depuis longtemps détourné de son sens originel pour devenir une filière à part entière de l’immigration massive. »
Cette même critique est formulée dans le rapport provisoire de Cour des comptes, qui écrit que « la demande d’asile est utilisée par certaines personnes comme une nouvelle filière d’immigration, notamment économique ».
Pourquoi c’est douteux
Précisons tout d’abord que les critères pour obtenir l’asile
sont très clairs : l’Ofpra (et la Cour nationale du droit d’asile, qui
traite les recours) s’appuie sur la convention de Genève, qui protège
toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait
de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays
dont elle a la nationalité, et qui ne peut, ou du fait de cette crainte,
ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Peu de chances donc pour un migrant économique de parvenir à ses fins par une demande d’asile.
En
revanche, selon les détracteurs du système, nombre d’entre eux
utiliseraient la procédure d’asile pour entrer sur le territoire
français, s’installer en attendant le traitement de leur demande, avant
de s’y maintenir clandestinement après avoir été déboutés, dans l’espoir
d’être finalement régularisés au bout de cinq ans.
Il suffit
pourtant de regarder le palmarès des nationalités les plus représentées
parmi les demandes d’asile pour remettre en doute l’affirmation des
sages selon laquelle « la France se caractérise par un faible nombre de demandeurs d’asile originaires de pays en guerre ou en conflit ».
République démocratique du Congo, Russie et Syrie y côtoient le
Bangladesh et l’Albanie. On retrouve d’ailleurs peu ou prou les mêmes
nationalités entre les demandeurs et les admis.
Les principales nationalités candidates à l'asile en 2014
RD Congo
● Nombre total de demandes d'asile: 5 493
● Nombre total de demandes d'asile: 5 493
Source : Rapport d'activité 2014 de l'OFPRA
Les principales nationalités admises à l'asile en 2014
Total des admissions CNDA et OFPRA.
Source : Rapport d'activité 2014 de l'OFPRA
4. Un coût exorbitant ?
Marine Le
Pen (FN) et Roger Karoutchi (UMP) ne se sont pas privés d’interpeller le
gouvernement sur l’un des chiffres chocs du rapport provisoire de la
Cour des comptes : la politique d’asile coûterait 2 milliards d’euros
par an à la France.
Les sages de la rue Cambon ne se sont en effet
pas arrêtés à la ligne budgétaire officiellement consacrée à l’asile
(un peu moins de 600 millions d’euros), estimant qu’elle ne trace pas
l’ensemble des dépenses « effectuées pour les demandeurs d’asile ».
D’après leurs calculs, qui intègrent par exemple le coût de
scolarisation des enfants, les demandeurs d’asile coûtent à eux seuls
990 millions d’euros, auxquels il faut rajouter 1 milliard pour les
personnes déboutées, quand elles sortent des radars budgétaires.
Mais ce chiffre est à prendre avec des pincettes. Après la fuite de son rapport dans Le Figaro, la Cour des comptes a mis en garde dans un communiqué contre une « lecture partielle et partiale de ses observations provisoires, qui portent en l’espèce sur la période 2009-2014 ». En outre, elle reconnaît la difficulté à établir un décompte précis du coût de l’asile et demande à l’administration « de bien vouloir examiner la validité des données utilisées et du calcul » qu’elle a effectué.
Le gouvernement, de son côté, fait valoir que la réforme de l’asile qui doit être votée d’ici l’été permettra d’en réduire le coût, en diminuant les délais d’instruction des demandes.
Quelles prestations la France accorde-t-elle aux demandeurs d’asile ?
Dans sa charge contre la politique d’asile française, Marine Le Pen a dénoncé le fait que les demandeurs d’asile soient « intégralement pris en charge par l’Etat » et qu’ils bénéficient de « droits exorbitants » ? Voici la réalité de ce qu’ils perçoivent.
- Une allocation pendant la durée de la procédure
340,5 €
Les demandeurs d’asile reçoivent pendant l’instruction de leur demande une allocation temporaire d’attente (ATA),
versée par Pôle emploi, de 11,35 euros par jour, soit 340,50 euros par
mois en moyenne. Cette allocation est remplacée par l’allocation
mensuelle de subsistance (AMS) une fois que le demandeur rentre dans un
centre d’accueil pour demandeurs d’asile : comprise entre 91 et
718 euros par mois, cette allocation dépend de la situation du
demandeur, de sa composition familiale et de ses ressources.
- Un accès au système de santé
Les
demandeurs bénéficient aussi d’un accès privilégié à la couverture
maladie universelle (CMU), de base et complémentaire, des dispositifs
qui permettent aux plus défavorisés d’accéder à la sécurité sociale.
Contrairement aux autres bénéficiaires, français ou étrangers, ils ne sont pas tenus de justifier une résidence stable en France de trois mois pour s’y enregistrer. En revanche, il doit justifier d’avoir perçu des revenus inférieurs à 9 534 euros l’année précédente.
Ces
systèmes ouvrent le droit à un remboursement des dépenses de santé par
l’assurance maladie française, et dispensent les demandeurs d’asile de
l’avance des frais. La CMU complémentaire donne également le droit à des
réductions sur la facture de gaz, d’électricité ou de transport.
Quand,
pour une raison ou un autre, les demandeurs d’asile ne peuvent être
affiliés à la sécurité sociale et bénéficier de la CMU (et quand ils
plongent dans la clandestinité après avoir été déboutés), ils peuvent
bénéficier de l’aide médicale d’Etat (AME), qui prend en charge « à 100 %
les soins médicaux et d’hospitalisation en cas de maladie ou de
maternité dans la limite des tarifs de la sécurité sociale, sans avoir à
avancer les frais ». L’AME bénéficie généralement aux sans papiers qui
peuvent justifier d’au moins trois mois de résidence en France.
» Lire notre décryptage sur l’AME
- La possibilité de travailler
Les demandeurs d’asile doivent attendre un an pour pouvoir solliciter une autorisation provisoire de travail
afin d’occuper légalement un emploi en France. Ce document, qui doit
être renouvelé au minimum tous les six mois, est délivré par la
préfecture sur certains critères : le demandeur d’asile doit disposer
d’une promesse d’embauche ou d’un contrat de travail, et le préfet peut la refuser
si la situation de l’emploi dans la profession et la région concernées
est trop tendue. Bien entendu, leur travail devient illégal quand ils
deviennent sans-papiers.
- La scolarisation des enfants
Enfin, les enfants de demandeurs d’asile peuvent être scolarisés dès l’âge de 3 ans,
à condition que l’école maternelle donne son accord. De 6 à 16 ans, en
revanche, l’instruction est obligatoire, comme pour tous les enfants
français et étrangers vivant en France.
Maxime Vaudano
Journaliste au Monde.fr
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