jeudi 7 mai 2015

France: "imaginez trois minutes que vous êtes musulman"

Islam : une semaine ordinaire en France

 La grande mosquée de Paris sous surveillance, le 14 janvier.

Éditorial du "Monde",06.05.2015 

 Vous êtes un Français musulman. Et si ce n’est pas le cas, imaginez trois minutes que vous l’êtes. Lundi soir 4 mai, dans l’émission « Mots croisés », sur France 2, vous avez entendu Robert Ménard affirmer qu’il y avait dans les écoles de sa ville « 64,6 % d’enfants musulmans ». Le maire de Béziers, proche du FN, a, semble-t-il, pris les listes des élèves et compté, un à un, les « prénoms musulmans »

 Vous avez songé à votre plus jeune fils qui est encore dans le primaire. Vous vous êtes demandé si, un jour, l’un des adultes chargés d’en faire un citoyen instruit et éclairé pourrait avoir l’idée de le ficher sur son prénom.

Il y a longtemps, hélas!, que vous n’êtes plus surpris par ce genre de provocation, tant les mises en causes publiques des musulmans sont devenues fréquentes dans notre pays. Ainsi, lundi 26 avril, vous avez entendu Christian Estrosi, maire (UMP) de Nice, dénoncer les « cinquièmes colonnes » islamistes et leurs « réseaux infiltrés dans nos caves, dans nos garages, dans les lieux clandestins ». Lorsque ce proche lieutenant de Nicolas Sarkozy a clamé que « la carte d’identité ne fait pas un Français » et qu’il était temps de prendre des mesures contre les « ennemis de la France qui ont une carte d’identité française », vous avez pensé à votre fils aîné. « Français de souche » depuis trois générations, cet étudiant n’est pas le seul, dans votre entourage, à trouver que, décidément, un passeport français paraît un bouclier parfois bien fragile contre les préjugés les plus sinistres.

Haine et rejet

Le lendemain, mardi, c’est à votre fille que vous avez pensé. A-t-on posté, à l’entrée de son collège, un préposé à la vérification de ses tenues vestimentaires ? Allez-vous la voir un jour, comme Sarah, la collégienne de Charleville-Mézières, rentrer à la maison, sommée de troquer sa jupe contre un vêtement jugé plus « laïc » si elle descend au-dessous du genou ? Ou bien encore de débarrasser ses bras de cette chemise trop couvrante ? L’administration de l’éducation nationale a agi avec « discernement », a assuré sa ministre, Najat Vallaud-Belkacem. La loi de 2004, pourtant, est muette sur le sujet et se contente de bannir le port de « signes » religieux ostensibles.

Mercredi 29 avril, ce sont les nouveaux programmes d’histoire du collège qui ont suscité une autre polémique. Selon certains, ils accorderaient trop de place à l’enseignement du fait musulman au Moyen Age, au détriment du christianisme. Vous n’en savez rien, vous croyiez que l’histoire du monde musulman occupait, déjà, une place logique et légitime dans les programmes. Mais vous en retenez que, à l’évidence, l’islam dérange, même dans les livres d’histoire. Et vous pouvez déjà vous préparer à affronter, la semaine prochaine, le débat à l’Assemblée nationale sur une proposition de loi du Parti radical de gauche visant à interdire les signes religieux dans les crèches et les centres de loisirs privés.

Telle est donc la réalité quotidienne de la République française, héritière des Lumières et fière de sa laïcité. Obsédantes, répétitives, détestables, ces controverses font le jeu de tous les intégristes. Ceux qui, très minoritaires au sein de l’islam français, se veulent en rupture avec la République, ses lois et ses valeurs. Ceux qui, au nom de la République, ne reculent devant aucun amalgame pour mieux stigmatiser l’ensemble des musulmans. Et attiser dangereusement l’intolérance, le rejet et la haine.

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