L’Europe et la France sont confrontées à un défi migratoire d’une grande complexité, qui doit être abordé dans un esprit de responsabilité et d’humanité, en renonçant aux polémiques outrancières, aux faux débats qui divisent et aux manipulations. A titre d’exemple, certains ont proposé abruptement de revenir sur le droit du sol, sans que cette question présente un lien quelconque avec la crise migratoire. Ils commettent, ainsi, une triple faute. Leur projet repose d’abord sur une erreur de fait et de droit, sur l’idée fausse et trop souvent répandue, que le droit du sol serait aujourd’hui primordial et absolu en France. La réalité est au contraire que la conception française de la nationalité fait déjà une place prépondérante au lien de filiation : 750 000 personnes naissent françaises chaque année, en France ou à l’étranger, parce que l’un au moins de leurs parents est français. Le droit du sol ne fonctionne ni de manière exclusive, ni de manière majoritaire. Les 60 000 enfants qui naissent en France de parents étrangers ne sont pas, de ce seul fait, français, sauf si leurs parents sont eux-mêmes nés en France, ce qui est rare. Les autres ne pourront acquérir la nationalité française qu’à partir de leurs 13 ans, s’ils ont vécu de manière continue en France. 25 000 d’entre eux se saisissent de cette possibilité. C’est bien naturel : ils ont grandi en France, ont vécu en France. La France est leur seul pays.

Certains proposent de limiter le droit du sol à ceux qui font la démarche de réclamer la nationalité française. C’est, en fait, un retour à la législation de 1993 qui est promu ici. Mais, regardons les chiffres : seuls 2 080 jeunes adultes, nés en France de parents étrangers, ont attendu leurs 18 ans pour acquérir la nationalité française sans la réclamer de manière anticipée. Qui peut soutenir qu’une mesure concernant 2 000 personnes présente une telle utilité qu’il faille ouvrir la boîte de Pandore des fantasmes et des approximations ? Enfin, certains proposent de remettre en cause le droit du sol outre-mer, en particulier à Mayotte, dans l’idée de décourager les familles de migrants comoriens qui tentent de gagner ce département français. Ce projet est clairement anticonstitutionnel, car on ne peut traiter différemment le droit de la nationalité en métropole et en outre-mer. Mais il repose également sur une erreur d’analyse. Les jeunes femmes comoriennes, qui viennent accoucher à Mayotte, sont attirées par la qualité de l’offre de soins, et elles savent que leurs enfants, faute de demeurer sur place, ne seront pas français.

Remettre en cause le droit du sol ne changerait rien à cet état de fait. Contrairement à ce que soutiennent ceux qui veulent dénigrer l’exercice du droit du sol, personne ne devient donc aujourd’hui français par hasard, ni contre son gré, ni par inadvertance, ni par calcul. Mais il y a plus grave que ce déni de réalité. Le droit du sol est, en effet, directement lié en France à la définition de la Nation, contractuelle et ouverte, fondée sur l’adhésion à des valeurs et à un projet commun, et non pas seulement sur la longue succession des générations. C’est cette conception ouverte de la Nation qui a permis, depuis la fin du XIXe siècle, aux générations successives d’enfants d’immigrés de devenir français.

En revenant sur le droit du sol tel qu’il existe, notre pays adresserait donc un triste message à ces milliers de jeunes nés en France et qui n’aspirent qu’à continuer à y vivre. Dans la République, comme l’a écrit le général de Gaulle : «Est français celui qui souhaite que la France continue.» En s’attaquant au droit français de la nationalité, certains prennent donc le risque de susciter un mauvais débat, porteur de division, alors qu’il conviendrait plutôt de définir dans le consensus le chemin d’une politique migratoire humaine et soutenable. C’est ce que le gouvernement s’emploie à faire : au plan national, assurer l’accueil humanitaire des réfugiés grâce à la création de 11 000 places supplémentaires et la lutte contre l’immigration irrégulière. Au plan européen, l’adoption d’un plan global en trois points, associant la création de centres d’accueil («hot spots»), pour distinguer les réfugiés fuyant les persécutions de ceux relevant de l’immigration économique irrégulière ; la gestion solidaire de l’accueil des réfugiés en Europe et une meilleure coopération avec les pays de provenance pour organiser le retour, dans des conditions dignes, de ceux qui n’ont pas droit à l’asile. Ecarter les faux débats et se concentrer sur les solutions, c’est ce qui devrait tous nous guider, aujourd’hui, dans la République.