Par Libération 18 juin 2015
DÉCRYPTAGE
Les restes de près de 50 migrants ont été retrouvés ces derniers jours dans le Sahara qui «pourrait bien être aussi meurtrier que la mer Méditerranée» selon un expert.
Le Niger
vient de faire deux découvertes macabres dans son désert. Vendredi, une
patrouille militaire a trouvé par hasard un premier convoi, près
d’Arlit. Les corps de 18 migrants s’y trouvaient, probablement morts au
cours de la semaine précédente, après l’accident du camion qui les
transportait, selon l’Organisation internationale pour les migrations
(OIM). Même scénario lundi, près de Dirkou, au nord-est du Niger. Cette
fois, ce sont les restes de 30 migrants qui ont été retrouvés. Leur état
de décomposition indique qu’ils sont morts depuis plusieurs mois.
Qui sont ces migrants?
Selon les papiers d’identité retrouvés sur les corps du premier convoi,
les migrants venaient du Mali, de Côte d’Ivoire, du Liberia, de
Centrafrique, du Burkina Faso et du Sénégal. «Seule une personne n’a,
pour l’instant, pas été identifiée», précise Paloma Casaseca, de l’OIM
au Niger. Ils étaient en route vers l’Algérie. Les morts de l’autre
convoi n’ont pas encore pu être identifiés par les autorités du Niger.
Selon la presse locale, ils viendraient essentiellement du Burkina Faso
et du Sénégal. Ceux-là se rendaient vraisemblablement en Libye.
L’OIM a tenté de reconstituer le sort des 18 migrants du premier convoi.
«A priori, ils ont eu un accident de camion, avance Paloma Casaseca. Le
véhicule a fait une sortie de route, s’est ensablé. Les migrants,
perdus en plein désert, à 100 kilomètres à pied de la première ville et
sans moyens de communication, n’ont pu appeler à l’aide. Ils sont
probablement morts de déshydratation.» L’OIM et les autorités du Niger
ne disposent pas pour l’instant d’assez d’informations pour l’autre
convoi.
Pourquoi passent-ils par le Niger?
Deux axes
principaux sont assez clairement identifiés : l’un qui va de Niamey à
Agadez, puis à Arlit, pour aller vers l’Algérie. L’autre, de Niamey à
Agadez, puis au nord-est, vers la Libye. Ces routes ne sont pas
nouvelles, mais ces morts récentes conduisent les organisations
internationales à attirer l’attention sur le danger de cette traversée
en terre ferme.
Et le flux semble avoir augmenté ces derniers
mois. «Le Niger, du fait de sa position géostratégique, la porosité de
ses frontières et la difficulté de contrôler l’ensemble de ce vaste
territoire, a toujours été un pays d’origine, de transit et de
destination des migrants, constate Paloma Casaseca. Mais ces dernières
années, l’instabilité des pays environnants (Mali, Algérie, Nigeria) a
condamné certaines routes migratoires et augmenté le flux au Niger.
Actuellement, un grand nombre de migrants, qui viennent du Sénégal, du
Mali, du Burkina Faso ou de Gambie, et qui arrivent aux côtes
italiennes, sont d’abord passés par le Niger.» Pris entre le marteau
algérien et l’enclume Boko Haram, les migrants d’Afrique de l’Ouest et
centrale n’ont d’autres choix que de traverser le Sahara nigérien. Avant
de braver la Méditerranée.
Les autorités nigériennes estiment
qu’en 2015, entre 80 000 et 120 000 migrants venus d’Afrique de l’Ouest
ou d’Afrique centrale vont traverser illégalement le Niger en direction
de la Libye, voire de l’Europe. Ils étaient 80 000 en 2014. Entre
janvier et mai 2015, l’OIM au Niger a secouru plus de 5 100 migrants.
Combien de migrants meurent chaque année dans le Sahara?
«Cette tragédie met en lumière un danger redouté mais méconnu, auxquels
doivent faire face de trop nombreux migrants avant même de risquer leur
vie en mer, a souligné dimanche le directeur général de l’OIM, William
Lacy Swing. Le Sahara pourrait bien être aussi meurtrier que la mer
Méditerranée pour cette vague de migrations. Mais la plupart de ces
morts ne sont pas signalés.»
Selon l’OIM, seule une petite
fraction de ceux qui y meurent chaque année est comptabilisée, parce que
la collecte de données fiables et les recherches dans la zone sont
quasi-impossibles. «Seulement» 50 victimes ont été recensées dans la
région, en 2014, selon l’OIM. Un nombre largement sous-évalué, estime
l’organisation. Selon le blog Fortress Europe, qui recense les morts
avérées de migrants sur ce chemin pour l’Europe, au moins 1 790 sont
morts dans le Sahara entre 1996 et 2014.
Soit un peu moins que
les 1 865 morts en Méditerranée recensés depuis janvier 2015. «Le nombre
de victimes dans le Sahara est probablement comparable, argue Paloma
Casaseca. Mais nous n’avons pas les mêmes moyens de surveillance,
techniques et politiques, qu’en Méditerranée pour avoir un décompte
fiable.» Selon les témoignages de migrants qui ont traversé ce désert,
le bilan pourrait être beaucoup plus lourd.
Comment se positionne le Niger face au fléau?
La législation sur les migrations reste lacunaire au Niger. Pour l’OIM,
il faudrait mettre en place un comptage systématisé et précis dans le
désert, une meilleure coopération régionale, des expéditions de
sauvetage régulières, tout en assurant la protection des migrants…
Le gouvernement nigérien a tout de même conscience de l’urgence à
traiter les flux de migrants, souvent tombés entre les mains de passeurs
et de trafiquants. En 2010, le pays a voté une loi contre la traite des
humains. En mai dernier, un autre texte contre le trafic de migrants,
qui vise à les protéger et à promouvoir la coopération nationale et
internationale, a été approuvé. «Néanmoins, tempère Paloma Casaseca, sa
mise en œuvre reste un défi.»
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