Emmanuel Todd : "Le vrai 'grand remplacement', c'est celui des générations"
Par l'OBS,
Ils sont ministre, élu, avocat, ex-star du foot, grand frère d'un des adolescents électrocutés ou jeune ayant participé aux émeutes de 2005 : ils nous ont confié leurs souvenirs de ces événements.
27 octobre 2005, Clichy-sous Bois. Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, meurent électrocutés après une course-poursuite avec la police.
Le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, prétend alors que les
enfants sont des voleurs. A tort. Les amis des adolescents, leurs
voisins, la jeunesse des quartiers populaires, ripostent par des émeutes
qui, comme une traînée de poudre solidaire, se propagent à des
centaines de villes partout en France.
Les images de voitures enflammées, d'Abribus couchés, de CRS en faction et de jeunes encapuchonnés font le tour du monde. La France apparaît comme un pays en guerre civile. Le gouvernement décrète l'état d'urgence. Plus de 6.000 personnes sont interpellées, 30 communes instaurent un couvre-feu.
Dix ans après, que reste-t-il de ces affrontements? La justice a relaxé les policiers. Des personnes ont été, par leur fonction, leur histoire ou le hasard, touchées au plus près. L'intellectuel Emmanuel Todd se souvient.
* * *
C'est
un des "actes civiques" dont il est "le plus fier". En 2005, Emmanuel
Todd, historien, anthropologue et démographe, a pris la parole comme on
fait son devoir, pour dire que ces émeutes étaient "une aspiration à
l'égalité. Les jeunes ethniquement mélangés de Seine-Saint- Denis
s'inscrivent dans une tradition de soulèvement social qui jalonne
l'histoire de France". Dix ans plus tard, l'intellectuel avoue toutefois
une "erreur" dans son jugement de l'époque:
J'étais
sûr que Nicolas Sarkozy, responsable de cette flambée de violence dans
les banlieues, allait payer en tant que ministre de l'Intérieur. Ces
émeutes m'avaient plutôt rempli d'espoir...
En réalité, elles
ont marqué le début du moment où politiques et idéologues allaient être
récompensés pour le fait d'agresser la banlieue et les jeunes."
Il
ajoute : "L'effet fondamental de ces événements a été de crisper un
corps électoral vieux. La société française accouchait d'une
gérontocratie de masse. Certains ont voulu voir des problèmes ethniques
dans ce qui était en fait un affrontement entre personnes âgées et
jeunes. Les violences de 2005 marquent le soulèvement raté de la
jeunesse et le succès de Nicolas Sarkozy,
l'élu le plus soutenu par les gens âgés dans toute l'histoire de la
droite: 44 % des plus de 65 ans ont voté pour lui en 2007", poursuit
l'intellectuel.
Les sexagénaires reprochent aux jeunes d'être arabes, musulmans ou rappeurs, comme ils accusaient leurs enfants dans les années 1960 d'avoir les cheveux longs et d'aimer la pop anglo-américaine."
Selon lui, "ce que les gens
rejettent, c'est l'idée même d'une France nouvelle. Le problème ne se
résoudra pas au terme d'une violente lutte idéologique. La solution est
démographique: nous sommes de vieux hégémoniques, mais nous allons
disparaître. On peut toujours trouver en soi-même une raison de refuser
le passage du temps et le remplacement des générations. Le vrai 'grand
remplacement'."
Elsa Vigoureux et Gurvan Le Guellec
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