Près de 50 000 personnes ont été placées
en centre de rétention en 2015! En matière d'enfermement des étrangers,
le pouvoir socialiste fait comme sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. À Mayotte, où les droits sont moins protecteurs qu'en
métropole, la situation est dramatique, notamment pour les enfants.
L’état des lieux produit chaque année par les cinq associations
apportant une aide juridique aux étrangers enfermés dans les centres de
rétention administrative (CRA) est l’occasion de lever le voile sur un
monde clos, difficile d’accès, où sont pourtant continuellement privées
de liberté des milliers de personnes pour l’unique raison qu’elles ne
disposent pas des documents de séjour en France requis par la loi.
En
2015, près de 48 000 personnes ont été placées en rétention, en
métropole et outre-mer, un chiffre stable au cours des cinq dernières
années : depuis 2011, 237 610 étrangers ont ainsi été concernés,
l’alternance politique n’ayant entraîné aucune modification majeure en
la matière. Dans le rapport publié mardi 28 juin (y accéder ici : (pdf, 7.0 MB)),
la Cimade, l’Ordre de Malte, l’Association Service social familial
migrants (Assfam), Forum réfugiés et France terre d’asile dénoncent un
enfermement « massif », voire « démesuré », et finalement le plus souvent « absurde ».
Des
vies sont brisées, des familles séparées, des enfants traumatisés à la
suite de leur placement derrière des barreaux qui peut durer jusqu’à 45
jours. Et cela, pour un résultat incertain en termes d’efficacité de la
politique publique : « seules » 46 % des personnes sont
effectivement éloignées, dont près de la moitié vers un État membre de
l’Union européenne (UE), d’où elles peuvent facilement revenir en France
en raison de la libre circulation.
Les Roumains sont particulièrement visés par cette politique « qui semble avoir pour principale finalité de faire du chiffre » :
parmi les 1 534 ressortissants de ce pays retenus en 2015, 1 357 ont
été éloignés, soit 88,5 %. Hors UE, les nationalités les plus présentes
dans les CRA sont les Tunisiens, les Algériens et les Marocains.
Les Albanais arrivent en quatrième position et, comme pour les Roumains, leur taux d’expulsion est astronomique (80,1 %), ce qui fait de ce pays le premier pays de renvoi. Eux aussi peuvent aisément revenir sur leurs pas en cas de retour forcé : depuis décembre 2010, ils peuvent en effet circuler en Europe sans visa à condition d’être titulaires d’un passeport biométrique, de disposer de ressources suffisantes et d’avoir souscrit une assurance maladie. En cinq ans, leur nombre en rétention a été multiplié par huit, ce qui a permis à certaines préfectures de « gonfler le nombre d’expulsions artificiellement ».
Les vieilles recettes du quinquennat de Nicolas Sarkozy ne semblent pas avoir disparu depuis l’élection à la présidence de la République de François Hollande. « La loi du 7 mars 2016 ne marque pas de rupture avec une politique d’éloignement basée sur un système d’enfermement à grande échelle qui s’accompagne de violations des droits. […] Aucune fermeture ou réduction du nombre de places dans ces lieux de privation de liberté n’est d’ailleurs prévue par le gouvernement », note le rapport.
Deux lieux concentrent tous les excès : Calais et Mayotte. Sur le littoral de la Manche, où campent depuis des années des milliers de migrants en transit vers la Grande-Bretagne, les associations estiment que l’État procède à un véritable « détournement de pouvoir ». Plus précisément, elles fustigent l’attitude de la préfecture qui, cet automne et cet hiver, a utilisé la rétention pour vider la « jungle » de Calais : « D’un côté, plus de 1 900 personnes ont été orientées vers un hébergement avec une qualité d’accompagnement très variable. Mais de l’autre, plus de 1 100 personnes, pour la plupart inexpulsables, ont été acheminées de force pour être enfermées illégalement dans des centres de rétention très éloignés du Calaisis. »
Alors que l’Allemagne et d’autres pays européens ouvraient leurs portes aux réfugiés, la France s’est illustrée en enfermant des Syriens, des Irakiens, des Afghans, des Soudanais et des Érythréens pouvant prétendre à une protection internationale. Les juges ont d’ailleurs réagi : la quasi-totalité d’entre eux ont été libérés au bout de quelques jours, avant de reprendre le chemin de Calais. « La rétention était clairement détournée de son objet afin d’éloigner non pas du territoire, mais du littoral calaisien », résument les associations.
Ces déplacements de population se sont déroulés toute l’année, avec un temps fort entre le 21 octobre et la fin décembre 2015. Sur quelque 6 000 personnes vivant dans la « jungle », environ 20 % ont été touchées. Au bout du compte, cette opération, au cours de laquelle de nombreuses irrégularités ont été observées, n’a fait que précariser davantage des personnes dans une situation d’extrême vulnérabilité, ayant pour la plupart risqué leur vie lors du périple qui les a conduites en Europe.
À Mayotte, où les migrants débarquent en provenance des Comores voisines, les atteintes aux droits « sont perpétrées ouvertement et sont devenues quasiment habituelles ». Pas grand monde ne semble s’en émouvoir. En 2015, l’outre-mer concentre à elle seule 41 % des privations de liberté et 60 % des expulsions, sans possibilité effective d’accès au droit à cause d’un régime juridique dérogatoire. L’accès au juge est rendu pratiquement impossible. À Mayotte, la situation est dramatique : les éloignements sont réalisés en quelques heures, si bien que la justice ne peut que rarement être saisie. « L’autorité administrative est toute-puissante et peut expulser en toute impunité, y compris en violant des droits fondamentaux tels que celui de vivre en famille », soulignent les associations.
Ce déficit de contrôle judiciaire est d’autant plus problématique que ce territoire bat tous les records en termes d’enfermements et d’expulsions d’enfants. Alors que le placement en rétention des mineurs est censé être limité en métropole, pas moins de 4 378 jeunes de moins de 18 ans ont été enfermés à Mayotte en 2015. En cinq ans, l’État en a enfermé 30 fois plus que dans tous les départements de l’Hexagone. « Les pouvoirs publics ne prennent aucune disposition visant à réduire une pratique pourtant dénoncée depuis plusieurs années », regrette le rapport, qui rappelle que l’enfermement des enfants, même pour une courte durée, et a fortiori leur retour forcé, sont contraires à leur intérêt supérieur, principe juridique internationalement reconnu.
Carine Fouteau et Donatien Huet, Médiapart
Les Albanais arrivent en quatrième position et, comme pour les Roumains, leur taux d’expulsion est astronomique (80,1 %), ce qui fait de ce pays le premier pays de renvoi. Eux aussi peuvent aisément revenir sur leurs pas en cas de retour forcé : depuis décembre 2010, ils peuvent en effet circuler en Europe sans visa à condition d’être titulaires d’un passeport biométrique, de disposer de ressources suffisantes et d’avoir souscrit une assurance maladie. En cinq ans, leur nombre en rétention a été multiplié par huit, ce qui a permis à certaines préfectures de « gonfler le nombre d’expulsions artificiellement ».
Les vieilles recettes du quinquennat de Nicolas Sarkozy ne semblent pas avoir disparu depuis l’élection à la présidence de la République de François Hollande. « La loi du 7 mars 2016 ne marque pas de rupture avec une politique d’éloignement basée sur un système d’enfermement à grande échelle qui s’accompagne de violations des droits. […] Aucune fermeture ou réduction du nombre de places dans ces lieux de privation de liberté n’est d’ailleurs prévue par le gouvernement », note le rapport.
Deux lieux concentrent tous les excès : Calais et Mayotte. Sur le littoral de la Manche, où campent depuis des années des milliers de migrants en transit vers la Grande-Bretagne, les associations estiment que l’État procède à un véritable « détournement de pouvoir ». Plus précisément, elles fustigent l’attitude de la préfecture qui, cet automne et cet hiver, a utilisé la rétention pour vider la « jungle » de Calais : « D’un côté, plus de 1 900 personnes ont été orientées vers un hébergement avec une qualité d’accompagnement très variable. Mais de l’autre, plus de 1 100 personnes, pour la plupart inexpulsables, ont été acheminées de force pour être enfermées illégalement dans des centres de rétention très éloignés du Calaisis. »
Alors que l’Allemagne et d’autres pays européens ouvraient leurs portes aux réfugiés, la France s’est illustrée en enfermant des Syriens, des Irakiens, des Afghans, des Soudanais et des Érythréens pouvant prétendre à une protection internationale. Les juges ont d’ailleurs réagi : la quasi-totalité d’entre eux ont été libérés au bout de quelques jours, avant de reprendre le chemin de Calais. « La rétention était clairement détournée de son objet afin d’éloigner non pas du territoire, mais du littoral calaisien », résument les associations.
Ces déplacements de population se sont déroulés toute l’année, avec un temps fort entre le 21 octobre et la fin décembre 2015. Sur quelque 6 000 personnes vivant dans la « jungle », environ 20 % ont été touchées. Au bout du compte, cette opération, au cours de laquelle de nombreuses irrégularités ont été observées, n’a fait que précariser davantage des personnes dans une situation d’extrême vulnérabilité, ayant pour la plupart risqué leur vie lors du périple qui les a conduites en Europe.
À Mayotte, où les migrants débarquent en provenance des Comores voisines, les atteintes aux droits « sont perpétrées ouvertement et sont devenues quasiment habituelles ». Pas grand monde ne semble s’en émouvoir. En 2015, l’outre-mer concentre à elle seule 41 % des privations de liberté et 60 % des expulsions, sans possibilité effective d’accès au droit à cause d’un régime juridique dérogatoire. L’accès au juge est rendu pratiquement impossible. À Mayotte, la situation est dramatique : les éloignements sont réalisés en quelques heures, si bien que la justice ne peut que rarement être saisie. « L’autorité administrative est toute-puissante et peut expulser en toute impunité, y compris en violant des droits fondamentaux tels que celui de vivre en famille », soulignent les associations.
Ce déficit de contrôle judiciaire est d’autant plus problématique que ce territoire bat tous les records en termes d’enfermements et d’expulsions d’enfants. Alors que le placement en rétention des mineurs est censé être limité en métropole, pas moins de 4 378 jeunes de moins de 18 ans ont été enfermés à Mayotte en 2015. En cinq ans, l’État en a enfermé 30 fois plus que dans tous les départements de l’Hexagone. « Les pouvoirs publics ne prennent aucune disposition visant à réduire une pratique pourtant dénoncée depuis plusieurs années », regrette le rapport, qui rappelle que l’enfermement des enfants, même pour une courte durée, et a fortiori leur retour forcé, sont contraires à leur intérêt supérieur, principe juridique internationalement reconnu.
Carine Fouteau et Donatien Huet, Médiapart
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