Par Morgane Wirtz, à Agadez
Publié le |
Le Point Afrique
Publié le |
Le Point Afrique
« Hotspots », « missions de protection »,
voilà deux mots avec lesquels il va falloir s'habituer à chaque fois
qu'il sera question de parler des migrants notamment africains. Dans le
dessein d'éviter que ceux-ci arrivent en Europe en prenant des risques
inconsidérés dans le désert du Sahara, mais aussi en mer Méditerranée,
le président français, Emmanuel Macron, a émis l'idée de recevoir les
candidats à une migration vers l'Europe dans des centres installés en
Afrique. Autrement dit, faire en sorte que la décision de recevoir un
migrant au titre de l'asile soit prise dans ces centres appelés
« hotspots » par les uns et « missions de protection » par les autres.
Ville située au nord du Niger, aux portes du désert, Agadez est devenue
au fil des ans un carrefour de migrants. Autant dire donc qu'elle est en
première ligne dans le dispositif que la France veut mettre en place
pour contenir les migrants en terre africaine. Il n'y a bien sûr pas
qu'Agadez qui est concernée. Nombre d'autres villes au Tchad et ailleurs
ne manqueront pas de servir de hotspots. Sur place, au-delà de la
question de souveraineté qui est posée avec une sorte de police des
frontières françaises et Européennes installées au cœur de pays
africains, il y a la crainte des conséquences économiques, sociales et
politiques qu'ils ne manqueront pas d'entraîner. Le président français
s'est engagé à accueillir 3 000 personnes parmi celles identifiées comme
pouvant bénéficier de l'asile d'ici 2019. À Agadez, on sait que
beaucoup de migrants ne seront pas acceptés à ce titre. De quoi
alimenter bien des interrogations sur ce qui va advenir demain.
La crainte du surpeuplement
« C'est un bon projet », affirme Bilal
Gallo, conseiller principal du sultan de l'Aïr. « Beaucoup de gens
voyagent sans être ni informés ni encadrés. Ces missions permettront de
les superviser et de leur apporter du secours, en cas de besoin »,
précise-t-il. « De nombreux candidats à la migration fuient des
problèmes politiques ou la guerre. Ils pourront venir dans ces missions
et y trouver des facilités pour migrer vers l'Europe », renchérit Hamed
Koussa, adjoint au maire d'Agadez.
Mais pourquoi instaurer ces missions au
Niger et au Tchad ? La quasi-totalité des migrants visés par les
politiques du président français est en transit dans la région. Ils
viennent du Mali, du Sénégal, de Guinée, de Gambie, du Nigeria, du
Burkina Faso ou du Ghana et ont déjà effectué une bonne partie du chemin
vers l'Europe. « Il serait préférable d'installer ces missions dans les
pays d'origine des migrants. Proposer ces services dans les ambassades
européennes, par exemple, pour voir comment, de là-bas, on peut les
aider à avoir des papiers pour voyager » , propose Hamed Koussa.
À Agadez, la priorité des autorités est
d'éviter une surpopulation de la ville. « Les candidats à la migration
sont très nombreux. J'imagine que ceux qui répondront aux critères [pour
obtenir le statut de demandeur d'asile] seront, quant à eux, très peu
nombreux », explique Issouf Maha, porte-parole du conseil régional
d'Agadez. « Ce projet pourrait provoquer le surpeuplement d'Agadez et de
ces environs. Déjà aujourd'hui, nous avons du mal à gérer la
situation », poursuit-il. La ville souffre de carences en eau potable et
en électricité.
Que faire des migrants refoulés ?
La question de savoir ce qu'il adviendra des
personnes refoulées par les missions de protections est sur toutes les
lèvres. Et chaque hypothèse ne présage que de sombres conséquences.
S'ils sont relâchés, les migrants voudront, par tous les moyens,
continuer leur route frauduleusement. « Il n'y a pas de stabilité en
Libye. Il faut voir les dangers qu'encourent ces personnes. Il y a
souvent des pertes de vies humaines. Nous les déplorons beaucoup parce
qu'il s'agit de la jeunesse africaine. Il s'agit de cette jeunesse qui
doit construire nos pays, qui doit construire l'Afrique. C'est elle qui
est en train de partir et de périr dans la mer ou dans le désert »,
s'inquiète l'adjoint au maire.
Il semble aussi impensable de garder dans
des centres ou de reconduire à la frontière les migrants qui n'auront
pas été acceptés dans la procédure de demande d'asile. C'est que le
Niger est membre de la Cedeao (Communauté économique des États d'Afrique
de l'Ouest) et doit garantit la libre circulation des personnes sur son
territoire surtout si elles sont originaires de pays membres de ladite
communauté. « Si vous voyez des gens avec un passeport du Mali ou du
Tchad, qu'est ce que vous pouvez leur dire ? Vous allez les refouler ?
Si nous leur apportons des complications, cela créera une révolte. Moi,
si je vais au Mali et qu'on me met en prison, comment est-ce que je
réagis ? Je me révolte ! » explique Bilal Garo. « Est-il assez honnête
qu'au nom de la coopération, on nous fasse piétiner nos principes et nos
règlements pour satisfaire ceux des Européens ? » s'indigne Rachid
Kollo, président du Cadre d'action pour la démocratie et les droits de
l'homme.
Ces hotspots, le signe d'un retour de la Françafrique ?
« Le véritable président du Niger, Emmanuel
Macron, a décidé tout simplement d'instaurer dans une de ses
sous-préfectures des bureaux pour filtrer les Africains qui vont aller
en Europe, en France. Et c'est bien triste, c'est bien dommage de
constater que nous n'avons encore que des sous-préfets, non des
présidents de la République », s'indigne Rachid Kollo. Pour ce
représentant de la société civile nigérienne, l'Union européenne
instaure ses politiques de répression migratoire sans se soucier du sort
de la ville. « Le fait de stopper la migration appauvrit Agadez. Tous
ces migrants viennent et restent entre une semaine et dix jours à Agadez
avant de continuer. Ils achètent dans de petits commerces. Cela fait
vivre certaines familles. Après, ils achètent leurs billets de
transport, cela fait vivre d'autres familles », poursuit Rachid Kollo.
« L'UE met en place des projets. Elle envoie des ONG européennes et leur
donne des moyens pour répondre à la question migratoire. La commune
d'Agadez peut trouver les solutions. Elle a besoin d'être soutenue dans
cette démarche. La solution ne peut venir que de nous », renchérit
l'adjoint au maire. Les autorités communales espèrent être prises en
considération lors de la mise en place des missions de protections.
Selon elles, c'est l'unique moyen de prévenir les conséquences néfastes
de la dernière idée du président français.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire