Dans
l’enclave espagnole, des dizaines de gays tentent d’obtenir l’asile en
Europe. Mais leur orientation sexuelle ne suffit pas à prouver qu’ils
sont en danger dans leur pays.
Ismaël* ne fuit pas la guerre. Ni la misère. Il est marocain, homosexuel et a quitté son pays à cause de « ça » : « Les gays sont détestés chez nous. Ils provoquent une sorte de malaise chez les gens. Ils les dérangent profondément pour des raisons qui m’échappent encore. » La culture, la religion. La loi surtout. S’ils ne peuvent pas se comporter librement, les homosexuels craignent avant tout pour leur sécurité. Dans un pays où les relations sexuelles entre personnes du même sexe, dites « contre nature », sont passibles de trois ans de prison, ils risquent non seulement d’être incarcérés, mais aussi d’être agressés et persécutés au quotidien.
Roué de coups par trois hommes
A Melilla aussi, l’autre frontière terrestre entre l’Afrique et l’Union européenne, plusieurs dizaines d’homosexuels espèrent obtenir le statut de réfugié. Ils rêvent de se retrouver sur une terre « où l’on peut être soi-même, sans se méfier constamment », explique Ismaël.Pour lui, le cauchemar a commencé à l’école. « Durant toute ma scolarité, j’ai été malmené parce que j’étais le petit pédé », confie le jeune Marocain. En 2016, Ismaël a été agressé dans la rue, roué de coups par trois hommes qui le suivaient dans les rues d’Oujda. « Quand je suis allé porter plainte, les flics ont compris que j’étais gay. Ils m’ont demandé pourquoi les hommes m’avaient frappé. Puis ils m’ont posé des questions qui n’avaient rien à voir avec l’agression et ont confisqué mon portable. » En fouillant son téléphone, la police a trouvé des photos compromettantes. Ce soir-là, Ismaël n’est pas rentré chez lui. « Ils m’ont jeté dans une cellule. Trois semaines plus tard, j’étais jugé pour homosexualité. » Verdict : deux mois de prison ferme.
Mais la chasse aux homosexuels ne sévit pas qu’au Maroc. Selon le rapport 2017 de l’Association internationale LGBT (ILGA), 72 pays pénalisent toujours l’homosexualité. En Iran, au Nigeria, au Soudan, en Somalie ou encore en Arabie saoudite, elle est passible de la peine de mort. Partout dans le monde, des femmes et des hommes quittent leur pays pour fuir les violences réservées aux minorités sexuelles. Une information qui échappe aux statistiques car, la plupart du temps, ces migrants masquent les motifs réels de leur exil forcé, compliquant davantage leur accès à l’asile.
« Persécution pour orientation sexuelle »
Depuis un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendu en novembre 2013, les homosexuels peuvent officiellement revendiquer appartenir à un « certain groupe social ». Une condition nécessaire pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la Convention de Genève. Avant cette date, plusieurs pays, dont l’Espagne, avaient déjà commencé à accueillir des migrants pour « persécution pour orientation sexuelle ».Encore faut-il le prouver. Car, dans sa décision, la CJUE stipule que la persécution doit atteindre « un certain niveau de gravité ». L’existence d’une loi pénalisant l’homosexualité dans le pays d’origine ne suffit pas à donner droit au statut de réfugié. Les procédures varient selon les pays, qui doivent évaluer eux-mêmes la crédibilité de la requête. « Les pays européens estiment qu’il faut réduire l’octroi du statut de réfugié dans les pays du Maghreb, considérés comme stables. C’est vrai que le Maroc est un pays sûr, mais pas pour tout le monde. La communauté LGBT est persécutée de fait, puisqu’elle doit se cacher et vivre dans la peur », avertit une membre du collectif Aswat, qui milite anonymement depuis 2013 pour la défense des minorités sexuelles au Maroc.
Pour constituer un dossier de demande d’asile liée à leur homosexualité, les migrants doivent apporter les preuves de la discrimination fondée sur leur orientation sexuelle ou sur leur identité de genre. « Ils veulent des photos des coups portés sur notre corps. Un certificat de passage à l’hôpital, un casier judiciaire, un enregistrement… Et, en plus, démontrer que cela est lié à notre orientation sexuelle », témoigne, découragé, un Algérien de 32 ans qui n’a pas réussi à rassembler tous les papiers.
Climat de méfiance
Beaucoup renoncent ainsi à demander l’asile. Sur environ 80 homosexuels au CETI de Ceuta, seule une douzaine a déposé une requête, d’après l’ONG Human Rights Watch (HRW). Outre la complexité des dossiers, la lenteur de la procédure décourage les migrants. Depuis la décision de la CJUE en 2013, face à l’afflux des demandes, les autorités espagnoles ont ralenti l’examen des dossiers, soupçonnant parfois des cas de migrations économiques déguisées.Désormais, il faut attendre au moins un an avant d’être transféré vers la péninsule. « Pour atteindre plus vite les côtes européennes, ils préfèrent tenter leur chance et se faire expulser en Espagne en tant que migrants clandestins, explique Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale de HRW. Les autorités espagnoles imposent un choix terrible à des personnes qui ont besoin de protection. Ils opèrent une politique de découragement qui est inadmissible. »
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* Le prénom a été modifié.
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