La question migratoire reste sensible mais ne constitue pas
l’obsession dont pourraient se nourrir les formations d’extrême droite,
d’après une vaste enquête pour le compte de l’ECFR.
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La
campagne pour les élections européennes, prévues du 23 au 26 mai, en
est encore à ses balbutiements. A moins de soixante jours du scrutin,
une question lancinante continue de se poser, sinon dans l’électorat, du
moins dans les états-majors des partis en lice : quel sera le grand
sujet susceptible de dominer les débats ? Quatre ans après la crise de
2015, au fil de la montée en puissance des forces d’extrême droite sur
le continent, les questions migratoires ont longtemps été promises au
premier rôle.
Il est possible qu’il en soit autrement, à
en croire une vaste enquête d’opinion conduite par l’institut de
sondage britannique YouGov pour le compte du think tank European Council
on Foreign Relations (ECFR, Conseil européen pour les relations
internationales). Ses résultats sont publiés dans les six journaux du
réseau Europa, dont Le Monde.
D’après cette
étude, menée du 23 janvier au 25 février auprès de plus de 45 000
personnes dans quatorze pays de l’Union européenne (UE), la question
migratoire est certes l’une des préoccupations exprimées par les sondés,
mais elle n’est ni la seule ni souvent la plus importante. Elle n’est
perçue comme la principale « menace » pesant sur l’Europe que par 14 %
des personnes interrogées, au même niveau que la crise économique ou les
risques de guerres commerciales.
« Viktor Orban,
Matteo Salvini et Steve Bannon veulent faire de l’élection un référendum
contre l’immigration. Ils n’y parviendront pas », estime Mark Leonard, directeur de l’ECFR. « Les
enjeux politiques de 2019 sont radicalement différents de ceux de 2015.
La campagne pour une Europe forteresse ne sera pas gagnante »,
veut-il croire. Les arrivées ont en effet beaucoup baissé depuis quatre
ans, en raison, entre autres, de différentes mesures prises par les
gouvernements européens pour mieux contrôler les frontières extérieures
du continent.
D’autres problématiques prennent souvent le dessus
Dans
l’ensemble, l’immigration demeure, à ce jour, citée par 23 % des
personnes interrogées parmi « les deux questions les plus importantes »
auxquelles seraient confrontés les pays de l’étude, légèrement devant le
chômage, mentionné par 20 % des électeurs. Mais, pays par pays, le
thème migratoire ne figure que rarement dans les principaux sujets.
D’autres problématiques prennent souvent le dessus, comme le coût de la
vie en France (36 %), le chômage en Italie et en Espagne, ou la santé en
Pologne et en Hongrie. La question migratoire n’est en tête que dans
les Etats qui se trouvaient en première ligne il y a quatre ans –
l’Allemagne, la Suède et l’Autriche – lors de l’arrivée massive de
demandeurs d’asile en provenance des régions en guerre, à commencer par
la Syrie.
Au contraire, dans bon nombre d’États, en
particulier en Europe centrale mais aussi en Europe du Sud, les
personnes sondées sont davantage préoccupées par l’émigration que par
l’immigration, c’est-à-dire par l’exode de leurs concitoyens plus que
par l’arrivée de migrants. Cette opinion est particulièrement forte en
Hongrie et Roumanie, dont la population a significativement baissé au
cours de la dernière décennie. Elle est également fréquente en Italie et
en Espagne. A peine trois décennies après la chute du « rideau de
fer », une forte proportion d’électeurs des pays d’Europe centrale –
tout comme en Grèce – considère même que leur gouvernement devrait
limiter, voire rendre illégaux, les longs séjours à l’étranger.
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Par
ailleurs, une majorité de sondés n’ont pas d’avis tranché quand il
s’agit d’évaluer l’impact du phénomène migratoire sur leur situation
personnelle, qu’il s’agisse de leur emploi, de leur salaire ou de
l’identité nationale, même si près d’un sondé sur trois juge que
l’immigration a un impact « plutôt négatif » ou « très négatif » sur la
sécurité dans leur pays.
Parmi les autres menaces pour
l’Europe citées dans le sondage, émerge notamment celle du retour au
nationalisme, constaté un peu partout sur le continent et perçu comme la
menace la plus importante par 11 % du panel. Seuls les Hongrois
interrogés considèrent l’immigration comme la principale menace pour
l’Europe.
Islamisme radical
Ces
constats sont cependant à nuancer. D’abord car les sondés sont 72 % au
total à considérer que les Européens devraient « défendre plus
efficacement » leurs frontières pour empêcher les entrées illégales, une
promesse peu ou prou au programme de toutes les formations en prélude à
la campagne.
52 % des interrogés sont d’avis que
l’Europe ne devrait accueillir que les seuls réfugiés, tout en les
répartissant davantage d’un pays à l’autre. Une forme de solidarité que
les capitales de l’UE ont été incapables de mettre en œuvre, au point de
creuser le fossé entre Est et Ouest. Une large minorité (38 % du panel)
considère aussi que l’Europe devrait bloquer toutes les formes de
migration, légale ou pas.
Autre motif de prudence : dans
tous les pays couverts par l’étude, le principal danger qui menacerait
l’Europe se trouve être « l’islamisme radical » – identifié comme tel
par 22 % du panel. Cette préoccupation, si elle n’est pas directement
liée à la migration, risque d’inciter certaines formations islamophobes à
poursuivre leur stratégie d’amalgame entre les deux phénomènes.
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