lundi 1 avril 2019

L’immigration, un sujet d’inquiétude parmi d’autres pour les Européens

La question migratoire reste sensible mais ne constitue pas l’obsession dont pourraient se nourrir les formations d’extrême droite, d’après une vaste enquête pour le compte de l’ECFR.

Par Philippe Ricard , Le Monde.fr, 01 avril 2019

Dans un gymnase occupé par des migrants à Saint-Herblain, près de Nantes, le 28 mars.
Dans un gymnase occupé par des migrants à Saint-Herblain, près de Nantes, le 28 mars. LOIC VENANCE / AFP
La campagne pour les élections européennes, prévues du 23 au 26 mai, en est encore à ses balbutiements. A moins de soixante jours du scrutin, une question lancinante continue de se poser, sinon dans l’électorat, du moins dans les états-majors des partis en lice : quel sera le grand sujet susceptible de dominer les débats ? Quatre ans après la crise de 2015, au fil de la montée en puissance des forces d’extrême droite sur le continent, les questions migratoires ont longtemps été promises au premier rôle.

Il est possible qu’il en soit autrement, à en croire une vaste enquête d’opinion conduite par l’institut de sondage britannique YouGov pour le compte du think tank European Council on Foreign Relations (ECFR, Conseil européen pour les relations internationales). Ses résultats sont publiés dans les six journaux du réseau Europa, dont Le Monde.

D’après cette étude, menée du 23 janvier au 25 février auprès de plus de 45 000 personnes dans quatorze pays de l’Union européenne (UE), la question migratoire est certes l’une des préoccupations exprimées par les sondés, mais elle n’est ni la seule ni souvent la plus importante. Elle n’est perçue comme la principale « menace » pesant sur l’Europe que par 14 % des personnes interrogées, au même niveau que la crise économique ou les risques de guerres commerciales.

« Viktor Orban, Matteo Salvini et Steve Bannon veulent faire de l’élection un référendum contre l’immigration. Ils n’y parviendront pas », estime Mark Leonard, directeur de l’ECFR. « Les enjeux politiques de 2019 sont radicalement différents de ceux de 2015. La campagne pour une Europe forteresse ne sera pas gagnante », veut-il croire. Les arrivées ont en effet beaucoup baissé depuis quatre ans, en raison, entre autres, de différentes mesures prises par les gouvernements européens pour mieux contrôler les frontières extérieures du continent.

D’autres problématiques prennent souvent le dessus

Dans l’ensemble, l’immigration demeure, à ce jour, citée par 23 % des personnes interrogées parmi « les deux questions les plus importantes » auxquelles seraient confrontés les pays de l’étude, légèrement devant le chômage, mentionné par 20 % des électeurs. Mais, pays par pays, le thème migratoire ne figure que rarement dans les principaux sujets. D’autres problématiques prennent souvent le dessus, comme le coût de la vie en France (36 %), le chômage en Italie et en Espagne, ou la santé en Pologne et en Hongrie. La question migratoire n’est en tête que dans les Etats qui se trouvaient en première ligne il y a quatre ans – l’Allemagne, la Suède et l’Autriche – lors de l’arrivée massive de demandeurs d’asile en provenance des régions en guerre, à commencer par la Syrie.

Au contraire, dans bon nombre d’États, en particulier en Europe centrale mais aussi en Europe du Sud, les personnes sondées sont davantage préoccupées par l’émigration que par l’immigration, c’est-à-dire par l’exode de leurs concitoyens plus que par l’arrivée de migrants. Cette opinion est particulièrement forte en Hongrie et Roumanie, dont la population a significativement baissé au cours de la dernière décennie. Elle est également fréquente en Italie et en Espagne. A peine trois décennies après la chute du « rideau de fer », une forte proportion d’électeurs des pays d’Europe centrale – tout comme en Grèce – considère même que leur gouvernement devrait limiter, voire rendre illégaux, les longs séjours à l’étranger.

Infographie Le Monde
Par ailleurs, une majorité de sondés n’ont pas d’avis tranché quand il s’agit d’évaluer l’impact du phénomène migratoire sur leur situation personnelle, qu’il s’agisse de leur emploi, de leur salaire ou de l’identité nationale, même si près d’un sondé sur trois juge que l’immigration a un impact « plutôt négatif » ou « très négatif » sur la sécurité dans leur pays.

Parmi les autres menaces pour l’Europe citées dans le sondage, émerge notamment celle du retour au nationalisme, constaté un peu partout sur le continent et perçu comme la menace la plus importante par 11 % du panel. Seuls les Hongrois interrogés considèrent l’immigration comme la principale menace pour l’Europe.

Islamisme radical

Ces constats sont cependant à nuancer. D’abord car les sondés sont 72 % au total à considérer que les Européens devraient « défendre plus efficacement » leurs frontières pour empêcher les entrées illégales, une promesse peu ou prou au programme de toutes les formations en prélude à la campagne.

52 % des interrogés sont d’avis que l’Europe ne devrait accueillir que les seuls réfugiés, tout en les répartissant davantage d’un pays à l’autre. Une forme de solidarité que les capitales de l’UE ont été incapables de mettre en œuvre, au point de creuser le fossé entre Est et Ouest. Une large minorité (38 % du panel) considère aussi que l’Europe devrait bloquer toutes les formes de migration, légale ou pas.

Autre motif de prudence : dans tous les pays couverts par l’étude, le principal danger qui menacerait l’Europe se trouve être « l’islamisme radical » – identifié comme tel par 22 % du panel. Cette préoccupation, si elle n’est pas directement liée à la migration, risque d’inciter certaines formations islamophobes à poursuivre leur stratégie d’amalgame entre les deux phénomènes.


Philippe Ricard

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