Au moins l'humoriste controversé et de talent français Dieudonné devra-t-il encore s'expliquer devant les tribunaux...sur cet
autre jeu de mots douteux:
« sachez que ce soir, en ce qui me concerne,
je me sens Charlie Coulibaly ».
Il ne viendra précisément jamais
à l'idée du ministre de l'intérieur de l'empêcher d'aller y expliquer
le fond de sa pensée, encore moins de lui ôter la vie; à l'instar du
sort que le terroriste Coulibaly a réservé à ses victimes jeudi (une policière municipale d'origine antillaise) et vendredi derniers (4 juifs français).
Bref un bien étrange mélange en guise d'hommage posthume entre, d'une part un ou des
terroriste(s) notoires, et d'autre part les défenseurs des libertés de
Charlie Hebdo.
Au nom de la Liberté d'expression, nous disent-ils... Les juges apprécieront.
Peut-être la République devra-t-elle réellement envisager d'apprendre à ses plus
jeunes ouailles la différence fondamentale entre la liberté d’expression
et l’apologie d’actes terroristes.
Joël Didier Engo
Dieudonné Officiel écrit à Bernard Cazeneuve...
« Charlie », Dieudonné… : quelles limites à la liberté d'expression ?
Par Damien Leloup et Samuel Laurent , Les Décodeurs, Lemonde.fr 14 janvier 2015
« Pourquoi Dieudonné est-il attaqué alors que Charlie Hebdo peut faire des “unes” sur la religion » ? La question est revenue, lancinante, durant les dernières heures de notre suivi en direct de la tuerie à Charlie Hebdo et de ses conséquences. Elle correspond à une interrogation d'une partie de nos lecteurs : que recouvre la formule « liberté d'expression », et où s'arrête-t-elle ?
- La liberté d'expression est encadrée
- La particularité des réseaux sociaux
- Le cas complexe de l'humour
- Charlie, habitué des procès
- Dieudonné, humour ou militantisme ?
1. La liberté d'expression est encadrée
La liberté d'expression est un principe absolu en France et en Europe, consacré par plusieurs textes fondamentaux. « La
libre communication des pensées et des opinions est un des droits les
plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire,
imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les
cas déterminés par la loi », énonce l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789.
Le même principe est rappelé dans la convention européenne des droits de l'homme :
« Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. »
Cependant, elle précise :
« L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
La liberté d'expression n'est donc pas totale et illimitée, elle peut
être encadrée par la loi. Les principales limites à la liberté
d'expression en France relèvent de deux catégories : la diffamation et
l'injure, d'une part ; les propos appelant à la haine, qui rassemblent
notamment l'apologie de crimes contre l'humanité, les propos
antisémites, racistes ou homophobes, d'autre part.
Les mêmes textes encadrent ce qui est écrit sur le Web, dans un
journal ou un livre : l'auteur d'un propos homophobe peut être
théoriquement condamné de la même manière pour des propos écrits dans un
quotidien ou sur sa page Facebook. L'éditeur du livre ou le responsable
du service Web utilisé est également considéré comme responsable. En
pratique, les grandes plates-formes du Web, comme YouTube, Facebook,
Tumblr ou Twitter, disposent d'un régime spécifique, introduit par la
loi sur la confiance dans l'économie numérique : ils ne sont condamnés
que s'ils ne suppriment pas un contenu signalé comme contraire à la loi
dans un délai raisonnable.
C'est la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, qui est
le texte de référence sur la liberté d'expression. Son article 1 est
très clair : « L'imprimerie et la librairie sont libres », on
peut imprimer et éditer ce qu'on veut. Mais là encore, après le principe
viennent les exceptions. La première est l'injure (« X est un connard »)
et la diffamation, c'est-à-dire le fait d'imputer à quelqu'un des
actions qu'il n'a pas commises dans le but de lui faire du tort (« X a volé dans la caisse de l'entreprise »).
Les articles 23 et 24 de cette même loi expliquent que « seront
punis comme complices d'une action qualifiée de crime ou délit ceux qui,
soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou
réunions publics », et liste les propos qui peuvent faire l'objet d'une condamnation :
« - les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;
- les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal ;
- l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ;
- l'apologie (…) des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi.
- (Le fait d'inciter à des) actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie.
- La provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers des personnes “en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée”, ou encore “leur oritentation sexuelle ou leur handicap” ».
En résumé,
la liberté d'expression ne permet pas d'appeler publiquement à la mort
d'autrui, ni de faire l'apologie de crimes de guerre, crimes contre
l'humanité, ni d'appeler à la haine contre un groupe ethnique ou
national donné. On ne peut pas non plus user de la liberté d'expression
pour appeler à la haine ou à la violence envers un sexe, une orientation
sexuelle ou un handicap.
Le droit d'expression est sous un régime « répressif » : on peut
réprimer les abus constatés, pas interdire par principe une expression
avant qu'elle ait eu lieu. Mais si une personne, une association ou
l'Etat estime qu'une personne a outrepassé sa liberté d'expression et
tombe dans un des cas prévus dans la loi, elle peut poursuivre en
justice. En clair, c'est aux juges qu'il revient d'apprécier ce qui
relève de la liberté d'expression et de ce qu'elle ne peut justifier. Il
n'y a donc pas de positionnement systématique, mais un avis de la
justice au cas par cas.
2. La particularité des réseaux sociaux
Le droit français s'applique aux propos tenus par des Français sur
Facebook ou Twitter. Mais ces services étant édités par des entreprises
américaines, ils ont le plus souvent été conçus sur le modèle américain
de la liberté d'expression, beaucoup plus libéral que le droit français.
Aux Etats-Unis, le premier amendement de la Constitution, qui protège
la liberté d'expression, est très large. De nombreux propos condamnés en
France sont légaux aux Etats-Unis.
Les services américains rechignent donc traditionnellement à
appliquer des modèles très restrictifs, mais se sont adaptés ces
dernières années au droit français. Twitter a ainsi longtemps refusé de
bloquer ou de censurer des mots-clés antisémites ou homophobes, avant de
nouer un partenariat avec des associations pour tenter de mieux
contrôler ces propos.
De son côté, Facebook applique une charte de modération plus
restrictive, mais les propos qui y sont contraires ne sont supprimés que
s'ils sont signalés par des internautes, et après examen par une équipe
de modérateurs.
3. Le cas complexe de l'humour
La liberté d'expression ne permet donc pas de professer le racisme,
qui est un délit, de même que l'antisémitisme. On ne peut donc pas
imprimer en « une » d'un journal « il faut tuer untel » ou « mort à tel groupe ethnique », ni tenir ce genre de propos publiquement. Néammoins, les cas de Dieudonné ou de Charlie Hebdo ont trait à un autre type de question, celle de l'humour et de ses limites.
La jurisprudence consacre en effet le droit à l'excès, à l'outrance
et à la parodie lorsqu'il s'agit de fins humoristiques. Ainsi, en 1992, le tribunal de grande instance de Paris estimait que la liberté d'expression « autorise un auteur à forcer les traits et à altérer la personnalité de celui qu'elle représente », et qu'il existe un « droit à l'irrespect et à l'insolence », rappelle une étude de l'avocat Basile Ader.
Néammoins, là encore, il appartient souvent aux juges de décider ce
qui relève de la liberté de caricature et du droit à la satire dans le
cadre de la liberté d'expression. Un cas récent est assez éclairant : le
fameux « casse-toi, pauv' con ! ». Après que Nicolas Sarkozy a
lancé cette formule à quelqu'un qui avait refusé de lui serrer la main,
un homme avait, en 2008, accueilli l'ancien chef de l'Etat avec une
pancarte portant la même expression.
Arrêté, il avait été condamné pour « offense au chef de l'Etat » (délit supprimé depuis). L'affaire était remontée jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme. En mars 2013, celle-ci avait condamné la France, jugeant la sanction disproportionnée et estimant qu'elle avait « un effet dissuasif sur des interventions satiriques qui peuvent contribuer au débat sur des questions d'intérêt général ».
Plus proche des événements de la semaine précédente, en 2007, Charlie Hebdo devait répondre devant la justice des caricatures de Mahomet qu'il avait publiées dans ses éditions. A l'issue d'un procès très médiatisé, où des personnalités s'étaient relayées à la barre pour défendre Charlie Hebdo, le tribunal avait jugé que l'hebdomadaire avait le droit de publier ces dessins :
« Attendu que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre à la liberté d'expression et de communication des pensées et des opinions (…) ; attendu qu'ainsi, en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal “Charlie Hebdo”, apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d'offenser directement et gratuitement l'ensemble des musulmans ; que les limites admissibles de la liberté d'expression n'ont donc pas été dépassées (…) »
On peut donc user du registre de la satire et de la caricature, dans
certaines limites. Dont l'une est de ne pas s'en prendre spécifiquement à
un groupe donné de manière gratuite et répétitive.
Autre époque, autre procès : en 2005, Dieudonné fait scandale en
apparaissant dans une émission de France 3 grimé en juif ultrareligieux.
Il s'était alors lancé dans une diatribe aux relents antisémites.
Poursuivi par plusieurs associations, il avait été relaxé en appel, le
tribunal estimant qu'il restait dans le registre de l'humour.
En résumé, la loi n'interdit pas de se moquer d'une religion, mais
elle interdit en revanche d'appeler à la haine contre les croyants d'une
religion, ou de faire l'apologie de crimes contre l'humanité – c'est
notamment pour cette raison que Dieudonné a régulièrement été condamné,
et Charlie Hebdo beaucoup moins.
4. « Charlie », habitué des procès
Il faut rappeler que Charlie Hebdo et son ancêtre Hara-Kiri ont déjà subi les foudres de la censure. Le 16 novembre 1970, à la suite de la mort du général de Gaulle, Hara-Kiri
titre : « Bal tragique à Colombey : 1 mort », une double référence à la
ville du Général et à un incendie qui avait fait 146 morts dans une
discothèque la semaine précédente. Quelques jours plus tard,
l'hebdomadaire est interdit par le ministère de l'intérieur,
officiellement à l'issue d'une procédure qui durait depuis quelque
temps. C'est ainsi que naîtra Charlie Hebdo, avec la même équipe aux commandes.
L'hebdomadaire satirique était régulièrement devant la justice à la suite à des plaintes quant à ses « unes » ou ses dessins : environ 50 procès entre 1992 et 2014, soit deux par an environ. Dont certains perdus.
Évolution du nombre des procès intentés à "Charlie Hebdo":
0
2
4
6
8
10
2
1992
2
1993
4
1994
5
1995
3
1996
6
1997
10
1998
2
1999
1
2000
0
2001
0
2002
1
2003
2
2004
2
2005
2
2006
0
2007
2
2008
0
2009
0
2010
1
2011
3
2012
1
2013
0
2014
5. Dieudonné, humour ou militantisme ?
Dans le cas de Dieudonné, la justice a été appelée à plusieurs
reprises à trancher. Et elle n'a pas systématiquement donné tort à
l'humoriste. Ainsi a-t-il été condamné à plusieurs reprises pour « diffamation, injure et provocation à la haine raciale » (novembre 2007, novembre 2012), ou pour « contestation de crimes contre l'humanité, diffamation raciale, provocation à la haine raciale et injure publique » (février 2014).
Lorsqu'en 2009 il fait venir le négationniste Robert Faurisson sur
scène pour un sketch où il lui faisait remettre un prix par un homme
déguisé en détenu de camp de concentration, il est condamné pour « injures antisémites ».
Mais dans d'autres cas, il a été relaxé : en 2004 d'une accusation
d'apologie de terrorisme, en 2007 pour un sketch intitulé « Isra-Heil ».
En 2012, la justice a refusé d'interdire un film du comique, malgré une
plainte de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra).
En plaidant pour l'interdiction de ses spectacles fin 2013, le
gouvernement Ayrault avait cependant franchi une barrière symbolique, en
interdisant a priori une expression publique. Néanmoins, le Conseil
d'Etat, saisi après l'annulation d'une décision d'interdiction à Nantes,
lui avait finalement donné raison, considérant que « la mise en
place de forces de police ne [pouvait] suffire à prévenir des atteintes à
l'ordre public de la nature de celles, en cause en l'espèce, qui
consistent à provoquer à la haine et la discrimination raciales ».
« On se trompe en pensant qu'on va régler la question à partir d'interdictions strictement juridiques », estimait alors la Ligue des droits de l'homme.
-
Damien Leloup
Journaliste au Monde
Source: Lemonde.fr
On
voit fleurir ces dernières heures d'étranges et récurrentes
interrogations. Pourquoi Charlie Hebdo a le droit de faire des Unes avec
une caricature de Mahomet et pourquoi Dieudonné a été mis en garde à vue pour apologie de terrorisme?
Réponse: la liberté d'expression dans ce pays est respectée mais encadrée. En effet, elle ne peut être invoquée pour ceux qui l'utilisent aux fins de disséminer des idéologies de haine mettant en danger des individus. C'est pourquoi nous rappelons cet encadrement face à des individus qui expriment des idéologies racistes et antisémites (et non simplement parce que nous trouverions tels ou tels propos, écrit ou dessin désagréables).
Donc, Charlie Hebdo n'a jamais mis en danger qui que ce soit en exerçant son droit à critiquer et à caricaturer les religions, droit consubstantiel à l'existence d'un espace démocratique (c'est à dire un espace dans lequel la libre discussion entre citoyens rationnels n'est pas contrainte par l'imposition de dogmes que certains tiennent pour sacrés).
Quant à Dieudonné, antisémite pathologique et obsessionnel et donc maintenant apologiste du terrorisme, il développe des idéologies de haine qui mettent effectivement en danger des individus.
La différence est simple et limpide.
Il faut la répéter
sans cesse dans un but de pédagogie envers les plus jeunes qui ne
comprennent pas ce distinguo. Quant aux plus âgés qui font mine de ne
pas comprendre, je dirai qu'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas
soif. Mais qu'au moins ces voix hypocrites et déstructurantes pour les
plus jeunes soient recouvertes par des voix qui se sont trop longtemps
tues par crainte de quelques effets de meute télématique.
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