samedi 9 mai 2015

Enfant ivoirien caché dans une valise, bel exemple d'un traitement sécuritaire orienté de l'information en matière d'immigration



Le traitement très orienté de l'information en Europe, notamment sur les questions migratoires et de coopération avec l'Afrique, ne cessera donc jamais d'interloquer des associations comme la nôtre, assimilés fréquemment à de "naïfs gauchistes". 

Jusqu'ici il n'y a en effet pas eu un seul journaliste - dans le bel unanimisme sécuritaire ambiant - pour pointer cette inhumanité qui prévaut dans les procédures de regroupement familial, et qui aurait tout aussi pu acculer un père aimant de nationalité ivoirienne, résident régulier en Espagne, à faire venir son fils dans une valise...

Mais non c'est bien connu, les Africains dans leur misère généralisée, seraient prêts à (faire) courir tous les risques pour parvenir au paradis européen.

Cela permet surtout aux officiels de se conforter dans leur rhétorique Europe-forteresse, insistant de "mener une guerre sans merci" - à priori légitime - "contre les réseaux de passeurs".

Pourvu qu'elle mette définitivement fin à ces drames humains d'un autre temps!

Joël Didier Engo



L’enfant passé dans une valise va pouvoir rejoindre sa mère en Espagne

Big Browser, Le Monde.fr  25 mai 2015

Début mai, Adou, un enfant ivoirien de 8 ans, avait presque passé la frontière espagnole à Ceuta, caché dans une valise à roulette. Mais les douaniers l'ont découvert en soumettant le bagage aux rayons X. Le jeune garçon avait alors été remis aux services de protection de l'enfance de l'enclave espagnole et placé dans un centre pour mineurs. Finalement, il a obtenu une carte de séjour provisoire d'un an afin de rejoindre sa mère, qui réside légalement à Fuerteventura, dans l'archipel espagnol des Canaries.

Le père de l'enfant, Ali Ouattara, avait été arrêté peu de temps après lorsqu'il avait traversé la même frontière. Cet Ivoirien et son épouse, Lucie Ouattara, sont installés aux Canaries, mais le garçon n'avait pas d'autorisation de séjour. Il doit maintenant attendre les résultats de tests ADN qui doivent confirmer les liens de parentalité. Son père est lui toujours en détention provisoire, la juge refusant de le libérer, arguant de sa "responsabilité présumée dans la grave mise en danger de la vie du mineur et de son intégrité physique".

Les négriers de la Méditerranée

LE MONDE | 10.05.2015 
 Par Andrea Palladino et Andrea Tornago (Palerme, Rome - envoyés spéciaux)

Le numéro 16 s’appelle en réalité Nazrat, le 1800, Habtom. Hommes et femmes se sont évanouis derrière des chiffres. Ils sont devenus des matricules anonymes au sein d’une comptabilité occulte qui brasse des millions de dollars : l’argent déboursé par les migrants en échange d’un ultime espoir, d’une terre d’accueil. Ces numéros maudits ont été attribués à des familles entières avant qu’elles n’embarquent pour un périple qui part souvent du Soudan, mais se termine pour beaucoup – de plus en plus nombreux – au fond de la mer. Des milliers d’entre eux gisent désormais en Méditerranée, engloutis quelque part entre la Libye et la Sicile.

Voilà l’affreuse réalité qui ressort des écoutes téléphoniques transcrites dans les 526 pages de l’enquête du parquet de Palerme – que Le Monde a pu consulter – sur le réseau international qui relie le cœur de l’Afrique subsaharienne à l’Europe. Aux yeux des trafiquants, ces êtres humains sans nom, sans visage et sans identité ne sont qu’une marchandise numérotée.


En 2014, 219 000 personnes ont traversé la Méditerranée, dix fois plus qu’en 2012. Et cette incessante transhumance entre la Corne de l’Afrique et les plages de Sicile a logiquement multiplié le nombre des victimes. Le tragique naufrage d’un chalutier, dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 avril, à 120 kilomètres des côtes libyennes, a fait 850 morts. « La pire hécatombe jamais vue en Méditerranée », selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

« Appelle-moi général »


Les migrants secourus par un navire de la marine italienne dans le port de Reggio de Calabria, au sud de l'Italie, le 14 avril.
Le 12 avril, voilà tout juste un mois, un autre drame avait provoqué la noyade de 400 personnes. Selon la direction antimafia de Catane, en Sicile, l’équipage de ce navire, dont deux membres ont été incarcérés, appartenait à « un groupe criminel organisé ». A bord, les marins disposaient de téléphones satellite cryptés leur assurant un contact permanent avec leur organisation basée en Libye. De mai à décembre 2014, le service central opérationnel du ministère de l’intérieur italien, l’unité d’élite de la police chargée de poursuivre les mafieux, a intercepté les communications de vingt-quatre trafiquants. Quatorze ont été arrêtés, dix sont toujours en fuite.


La filière était parfaitement organisée. D’après l’enquête du parquet de Palerme, le réseau comportait une cellule soudanaise de départ, composée d’une dizaine d’hommes chargés de l’accueil des clandestins qui avaient pour la plupart fui l’Afrique de l’Est, puis de transport en Libye. Une cellule libyenne prenait ensuite le relais pour les transferts maritimes vers l’Europe. Puis un groupe d’hommes, à Catane, était chargé d’organiser, si nécessaire, la fuite des migrants placés dans des centres d’accueil et de les acheminer à Rome ou, le plus souvent, à Milan. De là, une dernière bande devait leur faire gagner la Suède, la Norvège, l’Allemagne ou un autre pays européen.

« J’ai la classe de Kadhafi, personne dans l’organisation n’est plus fort que moi », se vante Yehdego Medhane, chef de la cellule libyenne
Dans la Libye chaotique de l’après-Kadhafi, le climat se montrait propice à tous les trafics, et un puissant réseau a pu se constituer. Yehdego Medhane, un Erythréen de 34 ans, est le chef de la cellule libyenne qui est au cœur du dispositif, coordonnant les autres groupes. L’homme, toujours en fuite, s’est octroyé le grade de général. « Appelle-moi toujours général », dit-il au bout du fil à son interlocuteur en Suède, en juin 2014, tandis qu’il vante l’efficacité de sa filière de passeurs. « J’ai la classe de Kadhafi, personne dans l’organisation n’est plus fort que moi », se vante-t-il. Yehdego Medhane maintenait les contacts avec la cellule soudanaise et organisait le départ des bateaux vers la Sicile.

Il faisait également sortir les migrants des prisons libyennes en corrompant la police locale. Sur l’une des bandes, il déclare « avoir versé 40 000 dollars [environ 37 000 euros] aux policiers pour faire libérer ces personnes ». Un autre membre de cette cellule libyenne, Ermias Ghermay, également visé par l’enquête, est un Ethiopien qui, depuis Zouara, en Libye, a coordonné les voyages des migrants vers l’île italienne de Lampedusa entre 2013 et 2014. Au téléphone, il se présente à ses complices comme un « entrepreneur »

« 80 000 dollars par bateau »

Yehdego Medhane disposait d’un groupe très actif au Soudan, composé de sept personnes : Sami, le transporteur, Nahom, Kiros, Mera-Merawi, Abraham, Wedi et Fachie. Ce réseau a un représentant financier aux Etats-Unis, Wedi Areb, capable de transférer de l’argent dans le monde entier. Dans une conversation interceptée entre Yehdego Medhane et un jeune homme nommé Miki, l’homme assure qu’il est avantageux d’investir en Amérique, car « personne ne demande d’où vient l’argent ».Il confie que le trafic de migrants lui a déjà rapporté « 170 000 », sans préciser la monnaie, et dit vouloir désormais placer de l’argent au Canada. Une montagne de billets, « 80 000 dollars par bateau », selon Asghedom Ghermay, responsable de la cellule sicilienne, circule donc en toute impunité.

La Sicile, qui apparaît après vingt ou trente heures de traversée aux yeux de ceux qui ont erré des années durant pour fuir les guerres civiles, n’est que la première étape d’un long voyage. D’autres passeurs sont déjà là, prêts à faire rapidement sortir les migrants des centres d’accueil siciliens. Direction Milan, qui n’est qu’une halte provisoire. La capitale lombarde, carrefour des trafics, est l’avant-poste de l’Europe du Nord, cet eldorado auquel des milliers d’immigrés aspirent. La cellule de Milan a pour mission d’organiser le départ d’Italie, à bord d’une voiture, d’un fourgon ou d’un train. Tout dépend du nombre de passagers et de la somme qu’ils sont disposés à payer. Cette dernière partie du voyage peut coûter de 400 à 1 500 euros par personne.

Les trafiquants qui opèrent en Lombardie sont des hommes de « toute confiance » d’Asghedom Ghermay : Efrem, Mudeser, Michael. Ils se déplacent sans entraves dans toute l’Italie du Nord et organisent les transferts d’immigrés en Suisse, en Allemagne et en France. Un court texto suffit : « Région : Vénétie ; lieu : Montebelluna. » Depuis la Sicile, Asghedom Ghermay notifie quand et où les « chargements » doivent être effectués. C’est Efrem qui décide des moyens de transport, recharge les portables, achète les billets – dont il majorera le prix d’au moins 20 euros – et qui explique comment éviter les contrôles. Selon la police transalpine, la gare centrale de Milan est le nœud « stratégique » de l’organisation. C’est dans ses environs que Mudeser reçoit les migrants, empoche le paiement et fait partir ses « clients » vers les terres promises du Nord.

Le risque économique semble nul pour les passeurs

Le transfert de cet argent sale est une véritable obsession du groupe, soucieux de maquiller au mieux, par le biais d’un circuit financier parallèle, le flux ininterrompu d’euros et de dollars qui passe entre ses mains. La police italienne a écouté les conversations de l’homme chargé de la gestion des comptes. Elle comprend que « Medhane s’informe sur la manière d’administrer ces gains. Abdou lui signale que le gouvernement suédois contrôle toutes les opérations bancaires et, tatillon, questionne sur tout. Medhane demande s’il est possible, lorsqu’il aura les papiers, de se rendre à Dubaï, de déposer l’argent dans une banque pour regagner ensuite l’Europe. Abdou lui répond qu’il n’y a aucun problème parce qu’il suffit d’avoir un compte dans une banque internationale ». Les sommes en jeu sont colossales. Le seul voyage entre la Corne de l’Afrique et la Libye rapporte en moyenne 2 300 dollars par personne à l’organisation. Il faut ensuite ajouter le prix de la traversée, le transit en Italie à Catane, le transport à Milan et, enfin, le dernier transfert vers l’Europe du Nord.

Il n’existe pas de tarif fixe pour le passage : il s’agit de déposséder les migrants du plus d’argent possible. Leurs parents collectent la somme nécessaire auprès de la diaspora africaine installée en Europe et aux Etats-Unis, contactent les trafiquants, guettent avec angoisse les arrivées et suivent, minute par minute, la chronique des naufrages. La cellule libyenne leur indique le code de paiement et le nom du voyageur : « Wedi Areb appelle Medhane, consignent les policiers italiens, et l’informe que les personnes qui ont payé pour le code 37 correspondent à Kidane, que le code 38 correspond à Simon, 1 750 dollars. »


La traçabilité des paiements est quasi impossible. En Italie, par exemple, les transferts d’argent entre les membres de la cellule sicilienne et celle de Milan sont répartis en une multitude de versements réalisés par carte de crédit prépayée ou en utilisant le circuit de la Western Union. De même, pour ne pas attirer l’attention, lorsque l’argent doit passer les frontières entre l’Europe et l’Afrique, les trafiquants utilisent le système de l’hawala – un mot arabe signifiant « transfert ». Déjà cité dans les textes du VIIIe siècle, il repose sur la confiance entre les intermédiaires financiers et permet de faire circuler d’importants capitaux à l’abri des regards. C’est l’un des principaux circuits de financement du terrorisme.

Même si l’embarcation sombre, les rentrées ont été assurées grâce aux paiements anticipés
Le risque économique semble nul pour les passeurs. Même si l’embarcation sombre, les rentrées ont été assurées grâce aux paiements anticipés. Le 31 août 2014, un intermédiaire signifie à Medhane que « seulement 4 émigrants sur 400 ont survécu » ; 396 morts, donc. Au sein de l’organisation, nul ne se soucie de ce naufrage, dont personne ne semble avoir eu connaissance, ce qui prouve combien les statistiques officielles sous-estiment la dimension de cette tragédie. Quelques jours plus tard, l’activité des trafiquants reprend de plus belle. Une « cargaison » de 150, puis une autre de 400 et, dix jours plus tard, une troisième de 750 prennent la mer. Souvent, les embarcations restent à peine à flot tant elles sont surchargées. Si un bateau ne peut accueillir, en principe, que 500 personnes, Medhane assure – en riant au téléphone – que lui en fera tenir mille, hommes, femmes et enfants.

Les trafiquants connaissent bien les risques encourus par leurs passagers. La mer et les naufrages, mais aussi les miliciens libyens, qui engagent si besoin de véritables opérations militaires pour couler les navires de migrants. « Le bateau était un peu en difficulté, rapporte-t-on à Yehdego Medhane, selon les écoutes policières, car il y avait beaucoup de monde à bord. Les navires libyens sont arrivés et ont commencé à tirer… Ils se sont approchés et alors l’équipage s’est caché. Les passagers ont convaincu les Libyens de les laisser… »

Medhane raconte aussi au téléphone que les secours interviennent dès que l’embarcation atteint les eaux internationales. Mais, malgré les interventions rapides de la marine italienne, d’obscurs événements surviennent parfois. Des bateaux seraient mystérieusement coulés, et les trafiquants disent ne pas savoir par qui. Un certain « John », basé à Stockholm, parle à Medhane, selon les écoutes, d’une « élimination ». « Par qui ? », demande Medhane. John déclare qu’il l’ignore…

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