mercredi 9 septembre 2015

Crise des migrants en Europe, un miroir grossissant des lacunes d'une certaine classe politique française

 MARINE LE PEN


Cette crise des migrants en Europe aura aussi été un véritable miroir grossissant sur les inquiétantes lacunes d'une certaine classe politique française, notamment sur les questions migratoires...

Car comment interpréter autrement - au-delà des petits calculs politiciens et de la peur du FN - cette insistance à lier en permanence l'accueil des réfugiés (régi par les conventions internationales ratifiées par la France) avec la limitation ou restriction du nombre d'étrangers régularisés au titre du regroupement familial, de la santé ou maladie, et de tous les autres critères légaux???

Le plan Sarkozy est en cela un véritable concentré de toute la xénophobie avilissante ambiante qui empêche précisément depuis plus de trois décennies de respectables Hommes politiques français d'être à la hauteur des enjeux mondiaux ( contrairement à leurs homologues Allemands par exemple), tétanisés qu'ils sont tous par la poussée du Front National.

Dommage!


Joël Didier Engo 




Syrie, Erythrée, Afghanistan… ce que fuient migrants et réfugiés

LES DÉCODEURS

Le Monde| Par





Des habitants dans les décombres de Douma ville syrienne tenue par les rebelles à l'est de Damas, le 30 août 2015.

Le phénomène, qui préoccupe depuis longtemps les Etats soucieux de contrôler les flux migratoires, a pris une ampleur exceptionnelle depuis deux ans. Après 280 000 personnes entrées illégalement dans l’Union européenne en 2014, ce sont plus de 365 000 personnes qui ont fait de même sur les huit premiers mois de l’année 2015.

Si ce chiffre connaît une augmentation exponentielle, c’est principalement dû à la guerre en Syrie. Les Syriens représentaient en effet à eux seuls 27,9 % de ces entrées en 2014 (soit 79 000 personnes), devant les Erythréens (34 500 personnes, soit 12,2 %), les Afghans et les Kosovars (22 000 personnes pour chacune de ces nationalités, soit 7,8 % dans chacune d’elles). Ainsi, près de la moitié des migrants était issue des seuls Syrie, Erythrée et Afghanistan, tous trois pays en guerre ou en régime dictatorial.

Les Syriens, première nationalité à affluer vers l'Europe depuis deux ans
Nombre d'entrées illégales comptabilisées par l'agence européenne Frontex.
0 %10 %20 %30 %40 %50 %60 %70 %80 %SyrieErythreeAfghanistanKosovoMaliAlbanieGambieNigeriaAutres nationalités2011201220132014
Source: Frontex
En 2015, les Syriens représentaient à fin août 30,9 % des arrivées « clandestines » (soit 87 500 personnes), devant les Afghans (39 000 personnes, 13,8 %) et les Kosovars et les Erythréens (24 000 personnes pour chacune de ces nationalités, soit 8,5 % dans chacune d’elles).

Pourquoi ces migrants fuient-ils leur pays ? Guerre, motifs économiques (fuite de la misère pour chercher une vie meilleure)... Il est extrêmement difficile de dissocier parmi tous les migrants les futurs « réfugiés » (ayant obtenu ce statut défini par la convention de Genève de 1951) des migrants économiques, qui ne demanderont pas forcément l’asile.

Passage en revue des principaux pays d’origine des migrants et réfugiés dans l’Union européenne.

Syrie : une guerre totale

La terrible guerre civile qui fait rage actuellement a éclaté en 2011 lors de manifestations d’opposition au régime. Les contestations de l’état d’urgence, en vigueur depuis 1963 et interdisant tout rassemblement, sont réprimées dans le sang par l’armée de Bachar Al-Assad. Plus de quatre ans après, le conflit s’est plus qu’enlisé. Ou plutôt, les conflits : entre l’armée, parfois appuyée par le Hezbollah libanais, et les rebelles, mais aussi entre les différents groupes rebelles (les modérés de l’Armée syrienne libre, liés au Conseil national syrien, les djihadistes de l’Etat islamique ou du Front Al-Nosra lié à Al-Qaida), entre les Kurdes et l’Etat islamique
La guerre, qui épargnait encore certaines régions à ses débuts, comme la capitale, Damas, est désormais totale. Elle a causé la mort de plus de 240 000 personnes et a jeté sur les routes près de 12 millions de personnes – sur un total de 23 millions d’habitants, soit plus de la moitié de la population initiale. Le pays ne connaît plus d’activité normale, est dans une situation humanitaire et économique catastrophique et de plus en plus nombreux sont celles et ceux qui, après quatre ans de guerre, se résolvent à quitter le territoire. La situation y est tellement catastrophique que l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) octroie désormais automatiquement le statut de « réfugié » à toute personne fuyant la Syrie – alors que c’est habituellement une démarche individuelle –, quel que soit son groupe ethnique, sa religion ou ses opinions politiques.

Erythrée : un régime totalitaire

La situation de l’Erythrée est moins connue. Ce n’est pas seulement un pays en voie de développement, dont le PIB était classé au 168e rang mondial (sur plus de 220) et les habitants pourraient « simplement » chercher une vie meilleure. C’est aussi et surtout la pire dictature du continent africain, avec un régime totalitaire ayant développé une surveillance de masse de la population et une répression systématique de toute contestation. La « Corée du Nord africaine » est dirigée par Issayas Afeworki, ancien héros de la guerre d’indépendance contre l’Ethiopie, obtenue en 1993.

Les milliers d’Erythréens qui parviennent à fuir le pays doivent faire face à de nombreux dangers, à commencer par une police qui a pour mission de « tirer pour tuer » aux frontières et de sanctionner durement les familles de celles et ceux qui osent partir.

Afghanistan : une guerre civile qui dure encore et encore

Contrairement à ce que certains pourraient croire, ce n’est pas parce que la plupart des forces de l’OTAN ont définitivement quitté le pays (en 2013 pour les troupes combattantes françaises, fin 2014 pour les britanniques et les américaines) que le pays est désormais plus sûr. Au contraire. Les combats entre les groupes rebelles et l’armée se sont intensifiés, les attentats se sont multipliés, provoquant une hausse significative du nombre de victimes civiles au cours du premier semestre 2015, selon un rapport de l’ONU. « L’augmentation du nombre de femmes et d’enfants tués et mutilés dans des violences liées au conflit est particulièrement inquiétante », déclarait Danielle Bell, directrice des droits de l’homme de la mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (Manua). Ces violences sont probablement pour quelque chose dans la recrudescence de l’arrivée d’Afghans aux portes de l’Europe depuis 2014 (22 132 recensés par l’agence européenne Frontex) par rapport à 2013 (9 494).

Irak : une guerre sans fin





La progression de l'Etat islamique en Irak.
Comme en Afghanistan, le départ des Américains n’a en rien apaisé la situation dans le pays. En proie à une guerre civile sanglante entre sunnites et chiites, le pays au bord d’un « désastre humanitaire », selon l’Unicef, est désormais coupé en deux après l’avancée rapide de l’Etat islamique depuis la mi-2014. Le groupe djihadiste a pris le contrôle de nombreux points stratégiques comme les puits pétroliers, les barrages ou encore Mossoul, la deuxième ville du pays. Après un temps d’arrêt lors des bombardements de la coalition internationale, l’Etat islamique a repris l’offensive et avance sur le territoire irakien en direction de Bagdad, instaurant la loi islamique, la charia, dans les régions qu’il contrôle. En 2014, plus de 15 000 personnes ont été tuées dans les violences, deux fois plus qu’en 2013 avec la mort de 6 500 personnes.

Libye : un pays éclaté

Si elle a permis de faire tomber l’un des pires dictateurs du continent africain, Mouammar Kadhafi, la révolution en Libye de 2011, appuyée par des frappes aériennes internationales, a aussi plongé le pays dans un chaos dont il ne voit pas la fin. Le territoire est désormais partagé entre les différentes factions et notamment deux gouvernements qui se font face. D’un côté, le Congrès général national (CGN), élu lors de la première élection démocratique du pays en juillet 2012 et dominé par les islamistes. De l’autre côté, la Chambre des représentants, qui était censée remplacer le CGN après les élections législatives de juin 2014, mais dont les islamistes contestent la légitimité, renforcés par une décision de la Cour suprême du pays qui a annulé les élections du mois de juin.

La dissension a mené au conflit armé. La capitale, Tripoli, est tombée aux mains de milices islamistes armées lors de l’été 2014, contraignant la Chambre des représentants, reconnue par la communauté internationale, à s’exiler à Tobrouk, dans l’est du pays. Des négociations sont en cours pour trouver un accord de paix. A cela s’ajoute l’emprise de plus en plus importante de l’Etat islamique, qui s’oppose aux islamistes du CGN, ainsi qu’aux mafias et aux nombreux autres trafics… L’instabilité du pays contribue à en faire la plaque tournante de l’émigration africaine vers l’Europe.

Kosovo : un Etat de pauvreté et de corruption

Il y a encore cinq ans, les Kosovars constituaient la principale nationalité représentée parmi les demandeurs d’asile en France. Après une période d’accalmie, c’est un véritable exode qui a repris : au cours des seuls trois premiers mois de l’année 2015, on estime qu’environ 130 000 personnes (sur 1,7 million d’habitants) auraient quitté le pays, soit près de 8 % de la population. Le petit Etat des Balkans, indépendant de la Serbie depuis 2008 après une guerre qui a provoqué la mort de plus de 13 000 personnes en 1998-1999, est gangrené par la corruption – à laquelle n’a même pas échappé l’importante mission européenne Eulex, censée aider le pays à… construire un Etat de droit – avec une mafia puissante. Mais ce sont surtout le chômage (touchant 30 % de la population active) et la pauvreté (30 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale) qui poussent ces milliers de personnes sur les routes.

Constatant « l’instabilité du contexte politique et social propre à ce pays ainsi qu’aux violences auxquelles restent exposées certaines catégories de sa population, sans garantie de pouvoir trouver auprès des autorités publiques une protection suffisante », le Conseil d’Etat français a retiré en octobre 2014 le Kosovo de la liste des pays dits « sûrs » – en fonction de laquelle l’administration peut décider ou non d’accorder l’asile (voir encadré ci-dessous) –, sur laquelle il avait été ajouté en janvier 2014. L’asile est ensuite accordé ou non au cas par cas, les principaux motifs évoqués étant des mariages forcés ou contrariés, des conflits familiaux, des violences conjugales ou la traite des êtres humains.

En République démocratique du Congo, dictature et guérillas

S’ils ne sont pas recensés massivement par Frontex en Europe, les Congolais constituaient en 2014 la principale nationalité parmi les demandeurs d’asile en France. Le « Congo-Kinshasa » est régulièrement le théâtre de massacres, notamment dans la région du Nord-Kivu, dans l’est du pays – une zone que le ministère des affaires étrangères français « déconseille formellement » à ses ressortissants. L’accord de paix trouvé entre le gouvernement et la guérilla du Mouvement du 23-Mars (M23), fin 2013, a toutefois conduit à une accalmie et à une baisse du nombre de demandeurs d’asile issus de la région. Mais des combats continuent, notamment avec les Forces démocratiques alliées (ADF), une rébellion musulmane ougandaise accusée de graves exactions contre les civils.

Selon l’Ofpra, l’organisme public s’occupant des demandes d’asile en France, « les demandes politiques émanant de militants de l’opposition restent majoritaires ». Le pays reste en effet dirigé depuis 2001 par Joseph Kabila, dont des ONG de défense des droits de l’homme dénoncent régulièrement les atteintes aux libertés fondamentales.

La liste des « pays d’origine sûrs »

Le droit européen impose d’avoir une liste de pays d’où proviennent des demandeurs d’asile mais qui sont considérés comme « sûrs », c’est-à-dire respectant les libertés fondamentales.

Début 2015, cette liste de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) comprenait les Etats suivants : Albanie, Arménie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Géorgie, Ghana, Inde, Kosovo, Macédoine (ARYM), Maurice, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Sénégal, Serbie, Tanzanie.


Réfugiés : Nicolas Sarkozy et la libre circulation de l'intox

 

Par Cédric Mathiot — 11 septembre 2015 Désintox, Liberation.fr

Dans son interview au «Figaro» puis sur TF1, le président de LR a affirmé qu'un réfugié, une fois arrivé dans un Etat européen, peut ensuite s'installer où bon lui semble dans l'espace Schengen. C'est faux.
  • Réfugiés : Nicolas Sarkozy et la libre circulation de l'intox
INTOX. Voilà au moins un sujet sur lequel Nicolas Sarkozy ne varie pas : il faut revoir Schengen de fond en comble. Le président du parti Les Républicains l’a redit dans le Figaro hier matin. Il veut en finir avec la «libre circulation des ressortissants non européens dans l’espace Schengen». Son argument : «Puisque la France garde des allocations sociales supérieures à celles des partenaires de Schengen, les réfugiés qui rentrent dans les autres pays de Schengen finiront inéluctablement chez nous.»

Bis repetita, hier soir, sur TF1 : «Il faut que vous sachiez qu’en l’état actuel de Schengen, tout étranger reçu avec un visa soit économique soit politique, a vocation à s’installer partout à l’intérieur de Schengen.» Deux déclarations qui résonnent aussi comme un écho à celles de Marine Le Pen, lors de sa conférence de presse tenue il y a deux jours à Strasbourg : «Une fois qu’ils seront régularisés, ils [les réfugiés] pourront aller s’installer dans n’importe quel pays de l’Union européenne.»

DÉSINTOX. Forcément, présentée comme cela, l’affaire a de quoi effrayer : les centaines de milliers de réfugiés qui vont s’installer en Europe finiront tous… en France. C’est même «inéluctable» nous dit Sarkozy dont le raisonnement (sic) est le suivant : la libre circulation des non-Européens dans Schengen permet à un réfugié d’obtenir un titre de séjour dans un pays membres, puis de choisir parmi le catalogue des aides sociales des pays membres celles qui lui conviendront le plus.

Et comme – évidemment – la France est la plus généreuse en matière de prestations sociales, Sarkozy en arrive à affirmer que tous les réfugiés entrés en Europe finiront en France. CQFD.

Primo, l’affirmation pavlovienne de la droite (et son extrême) selon laquelle la France aimante les migrants du monde entier est démentie violemment par l’actualité. Il suffit de constater que c’est vers l’Allemagne (ou la Suède) que convergent massivement aujourd’hui les demandes d’asile. En 2014, l’Allemagne avait traité 172 945 premières demandes, suivie par la Suède (74 980), l’Italie (63 000). La France n’arrivant qu’après (57 000). Et les premiers chiffres de 2015 confirment que l’Hexagone est une destination secondaire, bien loin derrière l’Allemagne qui pourrait donc accueillir 800 000 réfugiés.

Mais surtout, un réfugié ayant obtenu l’asile en Allemagne -quand bien même rêverait-il des prestations sociales françaises, et quand bien même les prestations sociales seraient plus favorables dans l’Hexagone- ne pourra pas, par la suite, venir librement s’installer en France ni dans un autre pays de l’UE, comme l’affirme Sarkozy (et Le Pen en écho, à moins que ce ne soit l’inverse).

Nicolas Sarkozy joue de la notion de libre circulation des étrangers dans l’espace Schengen sans préciser exactement ce qu’elle veut dire. Ni ses limites. En l’absence de frontières dans l’espace Schengen, un ressortissant d’un pays tiers établi sur le territoire européen peut effectivement (comme un Européen) circuler dans un autre pays de l’espace, mais à certaines conditions (article 21 de la convention d’application de l’accord de Schengen) et pour une durée limitée. Cette libre circulation d’un pays à l’autre n’implique pas la libre installation (comme il le prétend pourtant explicitement sur TF1). Ni évidemment la capacité à prétendre aux allocations sociales de n’importe quel Etat.

Un réfugié syrien ayant un titre de séjour en Allemagne peut se rendre en France (ou dans tout autre pays de l’espace) pour une durée de trois mois. Comme un touriste, en fait. Au-delà de ce délai, il y devient irrégulier et devra être renvoyé en Allemagne. Et à la différence du pays dans lequel il a été régularisé, il est inéligible en France à l’ensemble des allocations sociales qui sont conditionnées à la régularité du séjour (à part l’aide médicale de l’Etat, AME).

Or, l’admission au séjour demeure par ailleurs une compétence nationale. Schengen n’y change rien. Etre étranger en situation régulière en Allemagne ne permet en aucun cas de l’être automatiquement en France.

Dans un certain nombre de cas – très limités –, le fait d’être établi en Europe peut faciliter la mobilité professionnelle dans un autre pays européen (les chercheurs, les travailleurs détachés, les résidents de longue durée – résidant dans un état membre depuis au moins cinq ans). Mais en dehors de ces cas exceptionnels (qui sont donc tous liés à une activité professionnelle), un immigré établi en Europe et souhaitant s’installer dans un autre pays européen est soumis aux mêmes exigences qu’un immigré faisant une demande depuis son pays d’origine.

Bref, l’idée d’une libre installation des réfugiés dans l’espace de Schengen, pour être partagée par Sarkozy et Le Pen, n’en reste pas moins un fantasme.
Cédric Mathiot 

Sarkozy veut la création d’un statut de réfugié de guerre qui existe déjà

Par Sylvain Mouillard

Comment la France est devenue un pays de transit

|  Par Carine Fouteau,

Contrairement au fantasme brandi par l'extrême droite, la France ne risque pas d'être « submergée » par des flots de réfugiés. Sur les routes européennes de l'exil, le pays des Lumières a disparu des écrans radars. Même les francophones venus de Syrie l'évitent. À l'inverse, l'Allemagne, la Suède et la Grande-Bretagne suscitent l'engouement, signe de l'attractivité de ces destinations.

 La France se vit comme un pays de destination. Un pays où les réfugiés rêveraient de s’installer par milliers pour repartir de zéro. Un pays où ils se sentiraient en sécurité, enfin en paix, dans les conditions idoines pour envisager sereinement l’avenir – travailler, avoir des enfants, se faire des amis. Un pays désiré par-delà les frontières pour son savoir-vivre, son climat agréable et ses aides généreuses. Ce serait là son seul défaut : trop hospitalière, la France accueillerait sans compter, sans distinguer les ayants droit des profiteurs. Voilà les représentations que la plupart des hommes politiques, de gauche comme de droite, véhiculent avec des variantes dans l’espace public. Au FN, Marine Le Pen cristallise ces idées reçues en reprochant au gouvernement de se « laisse[r] submerger ». Dans son discours de rentrée à Brachay, elle dénonce une « déferlante » intéressée : « Quand vous êtes demandeur d’asile en France, c’est automatiquement 11,45 euros qui vous tombent chaque jour dans la poche. »

 Il suffit d’écouter le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, pour comprendre la haute estime que ce pays a de lui-même. « Depuis plus de deux siècles, déclare-t-il devant les députés lors de l’examen de son projet de loi sur l’asile le 10 décembre 2014, la France accueille les opprimés et les persécutés de tous horizons, fidèle en cela à une exigence vieille comme l’humanité (…). Bien avant la convention de Genève de 1951, notre pays a en effet apporté au monde une définition du droit d’asile, dont la modernité nous frappe encore. La Constitution de 1793 proclame ainsi que le peuple français “est l’ami et l’allié naturel des peuples libres” et “donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté”. C’est là sans doute qu’est née la tradition d’une France terre d’asile pour les opprimés du monde, qu’elle a accueillis tout au long des XIXe et XXe siècles : patriotes italiens et polonais, Arméniens et juifs persécutés, résistants antifascistes et républicains espagnols, dissidents soviétiques et boat-people vietnamiens. » Et au XXIe siècle ?


Il suffit d’écouter les réfugiés qui affluent en Europe ces dernières semaines pour comprendre que la France a perdu de sa superbe. Sur les routes de l’exode, ce pays a mauvaise réputation. L’immense majorité des 365 000 exilés, syriens et érythréens pour la plupart, débarqués sur les côtes italiennes et grecques après avoir traversé la Méditerranée en 2015 visent l’Allemagne, la Suède et la Grande-Bretagne. Jusqu’à 800 000 demandes d’asile seraient attendues outre-Rhin cette année, environ dix fois moins en France. Le seul fait que Bernard Cazeneuve se soit proposé d’aller chercher 1 000 des 20 000 personnes arrivées en Allemagne le week-end dernier est un indicateur du peu d’intérêt suscité par l’Hexagone. « 3 000 personnes vivent à Calais dans des conditions misérables. Ils prennent tous les risques, y compris de mourir, juste pour quitter la France. Ça en dit long sur l’image de ce pays », remarque François Gemenne, chercheur en science politique, spécialiste des questions migratoires, à l’université de Liège (Belgique) et à l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines.

Le pays des droits de l’homme n’est plus ce qu’il était. Ceux qui veulent rejoindre la Grande-Bretagne y transitent. Leur vision du pays est marquée par leur passage à Calais : ils s’arrêtent dans la « jungle », où ils vivent dans une extrême précarité, poursuivis par les policiers, en attendant de traverser la Manche, enfermés dans un camion. L’Éthiopien Tahir, rencontré en mai sous le pont de La Chapelle à Paris, n’a jamais envisagé de rester sur place. « Londres, ce serait mon rêve », disait-il. Anglophone, il pensait qu’il pourrait s’y intégrer facilement en nouant des contacts avec des membres de sa « communauté ». Il dormait sur un matelas (sans tente) posé à même le sol, et cela reflétait sa perception de la France.


Croisé début septembre sur la route des Balkans, à Nickelsdorf, en Autriche, à la frontière avec la Hongrie, Ayham, Syrien d’Alep, n'a tout simplement « pas pensé » à la France. « Non non, pas la France, on va rester en Allemagne », lançait une famille irakienne en montant dans un bus après plusieurs heures de marche. Dans le train Vienne-Düsseldorf, Sami al-Turk, Syrien de Homs, avançait entre autres l’argument linguistique : « On a appris l’anglais à l’école mais pas le français, on va donc dans un pays où on pourra parler anglais. La Suède ou la Norvège, l’un ou l’autre. Ils accueillent les réfugiés là-bas. En France, il y a de la violence, on a vu les images à Calais pour passer en Grande-Bretagne. »

Lors d’un reportage en Suède, fin août, un seul des migrants rencontrés a mentionné ce pays, et encore s’agissait-il de celui dont la demande d'asile était en train d'être rejetée. Les autres mettaient en avant le fait de ne pas s’y sentir bienvenus, les « mauvais comportements des Français » et la « brutalité de la police » pour expliquer leur désaffection. La présence de camps, notamment à Calais et à Paris, a fini de les dissuader. Même les francophones, dont l’un avait fait ses études en France et parlait couramment le français, n’ont pas retenu cette destination.

L’obstacle principal est en effet la difficulté à se loger, comme l’ont raconté Lama Tama et Damra Khatba, un couple de Syriens vivant à Rennes, lors du live de Mediapart du 3 septembre. Deux tiers des demandeurs d’asile n’ont pas de place en centres d’accueil (Cada) : ils se débrouillent par eux-mêmes en habitant chez des proches et en faisant appel au 115 (hébergement d’urgence) avec le risque de dormir à la rue. Le temps moyen d’attente est de plusieurs mois. En Suède et en Allemagne, 100 % des demandeurs d’asile qui le souhaitent sont hébergés dans des foyers dès les premiers jours de la procédure. Adoptée en juillet par le Parlement, la loi du gouvernement relative au droit d’asile est susceptible de modifier la donne, puisqu’elle s’inspire du modèle suédois en organisant une répartition directive des personnes sur l’ensemble du territoire en fonction des disponibilités. Jusqu’à présent, les candidats à l’asile étaient logés dans la région où ils avaient déposé leur dossier, si bien que l’Île-de-France, PACA et Rhône-Alpes étaient saturés. Il est toutefois encore trop tôt pour mesurer les effets de la réforme Cazeneuve.

« La France n’est plus depuis longtemps un grand pays d’asile »

La lourdeur et la lenteur des démarches pour obtenir l'asile sont souvent invoquées, ainsi que les taux faibles d’acceptation (entre un cinquième et un tiers), comparativement à ce qui a lieu ailleurs. La loi est supposée réduire les délais de deux ans à neuf mois et simplifier les procédures. Mais les améliorations ne seront perceptibles, au mieux, qu’à moyen terme.

L’emploi constitue également un frein majeur. Depuis une circulaire de Michel Rocard de 1991, les demandeurs d’asile n’étaient plus autorisés à travailler. La nouvelle loi leur ouvre ce droit au bout de neuf mois. Selon les associations de défense des étrangers, cette avancée est insuffisante. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, est du même avis. Dans son discours sur l’état de l’Union du 9 septembre à Strasbourg, il a appelé les États membres qui ne l’auraient pas encore fait à octroyer le droit de travailler à l’ensemble des demandeurs d’asile. « Un travail, un emploi, c’est une question de dignité. Nous devons modifier nos législations pour qu’ils puissent travailler dès qu’ils arrivent », a-t-il insisté. Problème connexe en France : le marché du travail est atone. Le taux de chômage y est supérieur à la moyenne de l’Union européenne. L’économie allemande offre davantage de perspectives. Quant à la Grande-Bretagne, le travail au noir y absorbe une partie de la main-d’œuvre étrangère.

À la différence du logement et de l’emploi, les allocations perçues sont peu évoquées, malgré un cliché répandu, pour justifier l’attrait d’un pays sur un autre. Leurs montants varient au sein de l'UE mais les écarts ne sont pas discriminants parce qu’ils sont compensés par des avantages en nature (repas, soins, logement, etc.) correspondant, au total, à des aides équivalentes.

Il ressort de ces éléments un décalage entre la manière dont les dirigeants français se représentent (ou font mine de se représenter) leur pays et la manière dont il est vu par les réfugiés. À l’occasion de la « crise » migratoire actuelle, la France apparaît marginalisée, « provincialisée », pourrait-on dire en référence à l’ouvrage de l’historien Dipesh Chakrabarty, professeur à l’université de Chicago, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, qui analyse l’expérience du décentrement des outils de pensée européens en Asie du Sud. « François Hollande donne l’impression d’être à la remorque d’Angela Merkel, observe François Gemenne. L’exode vers l’Allemagne témoigne de sa bonne santé économique et démocratique. La France à l’inverse suscite la méfiance. »

Peu attractive à l’égard des réfugiés potentiels, c’est-à-dire fuyant la guerre ou la répression, la France n’en reste pas moins un pays dont le solde migratoire est positif. Stable depuis plus d’une décennie, le nombre d’entrées annuelles d’étrangers avoisine 200 000 par an, dont les trois quarts viennent pour des raisons familiales et d’études. Principalement originaires du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest, ces personnes s’ajoutent aux migrants désormais qualifiés d’économique, c’est-à-dire fuyant la misère, auxquels les dirigeants européens adressent le message qu’ils ne sont pas les bienvenus dans l'UE. « Malgré une idée préconçue, la France n’est plus depuis longtemps un grand pays d’asile, constate François Héran, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined), à la différence de la Norvège et de la Suède qui ont une tradition ancienne en la matière. »


Respectueux du droit à vivre en famille, l'Hexagone reçoit une « immigration ordinaire » liée à son aire d’influence coloniale et linguistique, explique-t-il. Cette fois-ci, les exilés, venus majoritairement du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique, sont principalement anglophones. «L'Allemagne, indique le démographe, fait figure de terre promise parce que, politiquement, elle ouvre les bras et, techniquement, se montre capable d'organiser les arrivées massives, alors que la France n’est équipée ni physiquement ni moralement pour accueillir des flux extraordinaires. »

Mettre à disposition des logements dépend toutefois d’une volonté politique, comme en témoignent les solutions trouvées sous la pression par les maires en concertation avec l’État. La difficulté de la France à prendre une part décisive dans la gestion de la catastrophe interroge : dans le « concert des nations », selon l'expression consacrée, le pays des Lumières n'est-il pas en train de devenir durablement périphérique?

 Carine Fouteau,

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