Le PS redécouvre les migrants...Il faut s'en féliciter sans être dupe
de la manœuvre électoraliste sous-jacente - l'approche des élections
régionales - qui pourrait vite reléguer ce meeting parisien de soutien
aux réfugiés au rang d'une énième récupération politicienne de très
mauvais goût.
Bref dans ce drame humain faisant appel à
l'universalité du droit d'asile (excluant d'emblée toute idée de quotas
ethniques ou liés à la nationalité, à la religion...), aucune mobilisation ne sera jamais
de trop.
Précisément parce que la persécution pour des raisons
politiques ne peut être restreinte à une population, à un continent,
voire à un pays.
Joël Didier Engo
Pourtant,
l’annonce faite par le chef de l’Etat, le 7 septembre, ne se réduit pas
à un nombre. Comme le rappelle le haut-commissaire aux réfugiés,
Antonio Guterres, « l’accueil des réfugiés n’est pas un exercice statistique, mais une obligation internationale ». Une obligation à laquelle la France aurait d’ailleurs bien aimé se soustraire partiellement il y a quelques mois encore.
Mi-mai, en effet, l’exécutif s’est illustré en bataillant durant tout un week-end pour que la Commission européenne revoie à la baisse le nombre de réfugiés attribués à la France dans un premier plan de répartition des arrivants en Grèce ou en Italie. Avant l’été, l’exécutif ne masquait pas une certaine gêne à prendre en charge des réfugiés. Depuis 2012, François Hollande avait laissé Manuel Valls donner le ton sur ce qui touche à l’« étranger » ; s’y ajoutait un effacement maximum du sujet. Ainsi, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a-t-il attendu la dernière minute pour refondre le droit d’asile imposé par l’Europe et faire voter en catimini, fin juillet, une loi sur les titres de séjour. Quant au vote des immigrés aux élections locales, promesse de la campagne 2012, il a rejoint les oubliettes.
La terreur de voir le Front national marquer des points a paralysé l’action et la parole politiques depuis 2012, poussant le chef de l’Etat à attendre fin 2014 pour prononcer son premier discours sur le sujet. Et tant pis pour le Musée de l’immigration, qui a dû attendre longtemps son inauguration présidentielle, mi-décembre 2014.
On en était là, quand les drames ont commencé à s’enchaîner. D’abord, une série de naufrages meurtriers en Méditerranée dès le début de l’année. Ensuite, les premiers cortèges de migrants ont franchi les frontières de l’Europe par les Balkans. Ces images ont accrédité l’idée que les gouvernants étaient impuissants à faire cesser l’hémorragie syrienne.
L’accélération des flux de migrants en août, la menace de voir exploser l’espace Schengen et l’attitude déterminée de la chancelière allemande ont permis de finaliser le changement de politique et conduit à la rédaction d’une lettre franco-allemande, le 23 août. Il ne restait qu’à trouver le moment pour communiquer.
C’est dans ce contexte qu’est arrivé le cliché de la photographe Nilufer Demir montrant le cadavre du petit Aylan Kurdi sur une plage turque, face contre le sable. L’immense émotion suscitée par la mort d’un enfant de 3 ans a transformé en victimes ceux qui, la veille encore, étaient perçus comme des « assistés » prêts à « prendre le travail des Français ». François Hollande s’est donc engouffré dans la brèche qui lui permettait de déclarer publiquement sa conversion à l’accueil des réfugiés.
Lundi 7 septembre, on aurait presque pris la France pour un modèle de générosité, avec ses 24 000 personnes accueillies sur deux ans, si l’Allemagne n’avait pas promis d’en accueillir 500 000 cette année… Dans ce secteur comme ailleurs, il sera difficile de rivaliser avec la voisine d’outre-Rhin. En revanche, on peut être certain que la France ne s’arrêtera pas aux 24 000 réfugiés annoncés. Le flux de migrants ne se tarira pas une fois ce premier partage opéré. Le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies prévoit déjà, pour 2016, 50 000 entrées de plus qu’en 2015 en terre européenne.
Maryline Baumard
Journaliste
Accueil des réfugiés : comment François Hollande s’est converti sur le tard
Le Monde | |
Par Maryline Baumard
François Hollande a promis l’accueil de 24 000 réfugiés sur deux ans.
Un nombre conséquent ou insignifiant, selon le référent choisi. D’un
point de vue franco-français, il reste important puisque supérieur au
total des personnes à qui le pays a accordé l’asile en 2014. En
revanche, il est dérisoire si on le compare aux 20 000 réfugiés reçus
par l’Allemagne en deux jours seulement.
Mi-mai, en effet, l’exécutif s’est illustré en bataillant durant tout un week-end pour que la Commission européenne revoie à la baisse le nombre de réfugiés attribués à la France dans un premier plan de répartition des arrivants en Grèce ou en Italie. Avant l’été, l’exécutif ne masquait pas une certaine gêne à prendre en charge des réfugiés. Depuis 2012, François Hollande avait laissé Manuel Valls donner le ton sur ce qui touche à l’« étranger » ; s’y ajoutait un effacement maximum du sujet. Ainsi, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a-t-il attendu la dernière minute pour refondre le droit d’asile imposé par l’Europe et faire voter en catimini, fin juillet, une loi sur les titres de séjour. Quant au vote des immigrés aux élections locales, promesse de la campagne 2012, il a rejoint les oubliettes.
La terreur de voir le Front national marquer des points a paralysé l’action et la parole politiques depuis 2012, poussant le chef de l’Etat à attendre fin 2014 pour prononcer son premier discours sur le sujet. Et tant pis pour le Musée de l’immigration, qui a dû attendre longtemps son inauguration présidentielle, mi-décembre 2014.
On en était là, quand les drames ont commencé à s’enchaîner. D’abord, une série de naufrages meurtriers en Méditerranée dès le début de l’année. Ensuite, les premiers cortèges de migrants ont franchi les frontières de l’Europe par les Balkans. Ces images ont accrédité l’idée que les gouvernants étaient impuissants à faire cesser l’hémorragie syrienne.
Silence complice
Difficile de rester de marbre. Le Parti socialiste s’est saisi du sujet. Autour de Sandrine Mazetier, députée de Paris et chargée des migrations, une discussion a eu lieu avant le congrès de Poitiers, en juin. Jean-Christophe Cambadélis y avait même déjà suggéré l’idée – reprise par le chef de l’État – d’une conférence internationale. Durant l’été, Alain Bergounioux, chargé des études politiques au secrétariat national du parti, a rappelé au président comment Jean Jaurès avait en son temps interpellé le gouvernement sur le silence complice de la France et de l’Europe lors des massacres des Arméniens en 1896… L’historien estime en effet qu’« un parti comme le nôtre doit se saisir des causes humanitaires, que ce serait une faute de ne pas le faire, mais qu’il faut le faire bien ».L’accélération des flux de migrants en août, la menace de voir exploser l’espace Schengen et l’attitude déterminée de la chancelière allemande ont permis de finaliser le changement de politique et conduit à la rédaction d’une lettre franco-allemande, le 23 août. Il ne restait qu’à trouver le moment pour communiquer.
C’est dans ce contexte qu’est arrivé le cliché de la photographe Nilufer Demir montrant le cadavre du petit Aylan Kurdi sur une plage turque, face contre le sable. L’immense émotion suscitée par la mort d’un enfant de 3 ans a transformé en victimes ceux qui, la veille encore, étaient perçus comme des « assistés » prêts à « prendre le travail des Français ». François Hollande s’est donc engouffré dans la brèche qui lui permettait de déclarer publiquement sa conversion à l’accueil des réfugiés.
Lundi 7 septembre, on aurait presque pris la France pour un modèle de générosité, avec ses 24 000 personnes accueillies sur deux ans, si l’Allemagne n’avait pas promis d’en accueillir 500 000 cette année… Dans ce secteur comme ailleurs, il sera difficile de rivaliser avec la voisine d’outre-Rhin. En revanche, on peut être certain que la France ne s’arrêtera pas aux 24 000 réfugiés annoncés. Le flux de migrants ne se tarira pas une fois ce premier partage opéré. Le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies prévoit déjà, pour 2016, 50 000 entrées de plus qu’en 2015 en terre européenne.
Maryline Baumard
Journaliste
Pour une Europe ouverte
—
Le drame des réfugiés est l’occasion pour les Européens de relancer l’économie du continent. L’attitude de l’Allemagne en fait un modèle à suivre.
Aussi tardif soit-il, l’élan de solidarité en faveur des
réfugiés, observé ces dernières semaines, a au moins le mérite
de rappeler aux Européens et au monde une réalité essentielle. Notre
continent peut et doit devenir une grande terre d’immigration au XXIe siècle.
Tout y concourt : son vieillissement autodestructeur l’impose, son
modèle social le permet, et l’explosion démographique de l’Afrique
doublée du réchauffement climatique l’exigera de plus en plus. Tout cela
est bien connu. Mais ce qui l’est peut-être un peu moins, c’est que
l’Europe d’avant la crise financière était en passe de devenir la région
la plus ouverte du monde en termes de flux migratoires. C’est la crise,
déclenchée en 2007-2008 aux Etats-Unis, mais dont l’Europe n’est
toujours pas parvenue à sortir du fait de ses mauvaises politiques, qui
ont conduit à la montée du chômage et de la xénophobie, et à une
fermeture brutale de ses frontières. Tout cela alors que le contexte
international (printemps arabe, afflux des réfugiés) aurait au contraire
justifié une ouverture accrue.
Revenons en arrière. L’Union européenne compte, en 2015, près de
510 millions d’habitants, contre environ 485 millions en 1995
(à frontières constantes). Cette progression de 25 millions d’habitants
en vingt ans n’a rien d’exceptionnel en soi (à peine 0,2 % de croissance
annuelle, contre 1,2 % par an pour la population mondiale prise dans
son ensemble sur la même période). Mais le point important est que cette
croissance s’explique pour près de trois quarts par l’apport migratoire
(plus de 15 millions). Entre 2000 et 2010, l’Union européenne a ainsi
accueilli un flux migratoire (net des sorties) d’environ 1 million de
personnes par an, soit un niveau équivalent à celui constaté aux
Etats-Unis, avec en outre une plus grande diversité culturelle et
géographique (l’islam demeure marginal outre-Atlantique). A cette époque
peu éloignée où notre continent savait se montrer (relativement)
accueillant, le chômage baissait en Europe, tout du moins jusqu’en
2007-2008. Le paradoxe est que les Etats-Unis, grâce à leur pragmatisme
et à leur souplesse budgétaire et monétaire, se sont très vite remis de
la crise qu’ils avaient eux-mêmes déclenchée. Ils ont rapidement repris
leur trajectoire de croissance (leur PIB de 2015 est 10 % plus élevé que
celui de 2007), et l’apport migratoire s’est maintenu aux alentours
de 1 million de personnes par an. Mais l’Europe, engluée dans des
divisions et des postures stériles, n’a toujours pas retrouvé son niveau
d’activité économique d’avant la crise, avec pour conséquence la montée
du chômage et la fermeture des frontières. L’apport migratoire a chuté
brutalement de 1 million de personnes par an entre 2000 et 2010 à moins
de 400 000 entre 2010 et 2015.
Que faire ? Le drame des réfugiés pourrait être l’occasion pour les
Européens de sortir de leurs petites disputes et de leur nombrilisme.
En s’ouvrant au monde, en relançant l’économie et l’investissement
(logements, écoles, infrastructures), en repoussant les risques
déflationnistes, l’Union européenne pourrait parfaitement revenir aux
niveaux migratoires observés avant la crise. L’ouverture manifestée par
l’Allemagne est de ce point de vue une excellente nouvelle pour tous
ceux qui s’inquiétaient d’une Europe moisie et vieillissante. On peut,
certes, faire valoir que l’Allemagne n’a guère le choix, compte tenu de
sa très faible natalité. D’après les dernières projections
démographiques de l’ONU, qui tablent pourtant sur un flux migratoire
deux fois plus élevé en Allemagne qu’en France dans les décennies à
venir, la population allemande passerait de 81 millions aujourd’hui à
63 millions d’ici à la fin du siècle, alors que la France passerait dans
le même temps de 64 à 76 millions.
On peut aussi rappeler que le niveau d’activité économique observé en
Allemagne est en partie la conséquence d’un gigantesque excédent
commercial, qui par définition ne pourrait se généraliser à l’ensemble
de l’Europe (car il n’y aurait personne sur la planète pour absorber de
telles exportations). Mais ce niveau d’activité s’explique également par
l’efficacité du modèle industriel allemand, qui repose notamment sur
une très forte implication des salariés et de leurs représentants (la
moitié des sièges dans les conseils d’administration), et dont on ferait
bien de s’inspirer.
Surtout, l’attitude ouverte sur le monde, manifestée par l’Allemagne,
envoie un message fort aux ex-pays de l’Europe de l’Est membres de
l’Union européenne, qui ne veulent ni d’enfants ni de migrants, et dont
la population combinée devrait, selon l’ONU, passer de 95 millions
actuellement à guère plus de 55 millions d’ici à la fin du siècle. La
France doit se réjouir de cette attitude allemande et saisir cette
opportunité pour faire triompher en Europe une vision ouverte et
positive vis-à-vis des réfugiés, des migrants et du monde.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire