"Venir en France? Mais pour vivre où? Dehors, sans nourriture, sans vêtements ?"...
C'est l'image et la respectabilité internationale de la "Patrie des Droits de l'Homme" - longtemps présentée comme une "terre d'accueil et d'hospitalité" - qui a pris un sérieux coup avec la crise migratoire en Europe, de surcroît sous un gouvernement socialiste.
En effet du pays autrefois assumé d'accueil, la puissance moyenne française n'est plus perçue par les migrants uniquement comme un pays de transit, qui n'offrirait même pas les garanties internationales minimales pour accueillir les réfugiés.
Quel désastre!
Il faut tout au moins espérer qu'il n'y aura plus un politique, pas un extrémiste...pour se plaindre de "toute cette misère du monde que la France ne peut accueillir".
La réalité est assez parlante pour casser définitivement le mythe.
Joël Didier Engo
Migrants: "Venir en France? Mais pour vivre où ? Dehors, sans nourriture, sans vêtements?"
Le pays des droits de l’homme a du mal à attirer les migrants. Mauvais accueil, chômage, casse-tête administratif… Ils nous racontent pourquoi ils préfèrent s’installer ailleurs.
"En France, il n’y a pas de travail." Ghalam, Fayhad, Mohsan et Ali, Afghans. (Lukas barth-AFP) (Lukas barth-AFP)
Un groupe s’est formé. Une dizaine de Syriens, d’Irakiens sont
massés, debout, derrière une table en Formica beigeâtre, sous les néons
blafards du sous-sol d’un hôpital désaffecté de Montmorency, en banlieue
parisienne. L’endroit vient d’être transformé en centre d’accueil pour
réfugiés. Le ton monte, les mains s’agitent, une voix s’élève :
Les gars, on n’est pas obligés de rester ici, on n’est pas prisonniers, on peut partir si on veut."
Depuis
le matin, la rumeur court dans les couloirs. Une douzaine de migrants,
acheminés dans des cars depuis Munich, en Allemagne, à la mi-septembre,
auraient déjà quitté le centre. Waddah (*),
26 ans, qui travaillait encore comme avocat à Bagdad le mois dernier,
et qui a laissé en Irak une femme et une petite fille, tourne comme un
lion en cage :
Tout le monde veut partir, ici. La nuit, on a froid. Ils ont tardé à nous donner des couvertures, de nouveaux vêtements, il y des fuites d’eau dans les chambres, c’est vraiment insalubre. Et puis, on n'a pas le wi-fi, on n'arrive pas à joindre nos familles."
Le jeune homme avait trouvé le moyen de capter
internet en allant dehors et en se postant près de la grille d’entrée
d’une maison cossue, de l’autre côté de la rue, juste en face de
l’hôpital. Le propriétaire du pavillon a appelé la police.
"Un peu déboussolés"
"Tous ces migrants n’avaient pas prévu de venir en France. Leur eldorado, c’était l’Allemagne ou la Suède. Ils ont changé d’avis en quelques heures après un périple long et douloureux", raconte un bénévole du Secours catholique.
Alors forcément, ils sont un peu déboussolés, un peu déçus quand ils arrivent ici. On essaie de faire en sorte qu’ils se reposent, on leur explique qu’on fait ce que l’on peut."
Ce sont les autorités françaises
qui les ont convaincus de modifier leur itinéraire. Quelques jours
auparavant, le lundi 7 septembre, au matin, une dizaine de
collaborateurs de l’Ofpra (Office français de Protection des Réfugiés et
Apatrides) et de l’Ofii (Office français de l’Immigration et de
l’Intégration), la plupart arabophones, sont montés dans le premier
avion pour Munich.
La France vient d’annoncer qu’elle ouvre en urgence ses frontières à 1.000 réfugiés supplémentaires (24.000 dans les deux ans)
: des Syriens, des Irakiens et des Erythréens qui fuient la guerre ou
la dictature. Il s’agit d’aider l’Allemagne, confrontée à une vague
migratoire sans précédent.
Les
images de Bavarois, les bras chargés de fleurs, de peluches, de
panneaux "Welcome", défilent alors en boucle sur toutes les télévisions
de la planète. Certains jours, jusqu’à 13.000 migrants débarquent à la
gare de Munich. On les achemine ensuite dans un hall de la foire aux
expositions, dans l’est de la ville.
Des Allemands accueillent les réfugiés à la gare de Berlin avec une banderole : "Bienvenue à Berlin". (Axel Schmidt / AFP)
C’est
là que les équipes françaises s’installent, tout près du point de
distribution des repas. Des haut-parleurs crachent des messages en arabe
:
La France souhaite accueillir 1.000 réfugiés."
Des
tracts sont distribués, des réunions d’information organisées, avec
Pascal Brice, le directeur général de l’Ofpra en personne, juché sur une
chaise. Des bus sont affrétés, des bâtiments et des lits réquisitionnés
en France. On promet une carte de séjour de dix ans, le droit d’asile,
un logement, l’école pour les enfants, une couverture médicale…
Mais,
au final, le "recrutement" se montre bien plus maigre que prévu. 600
réfugiés sur le millier attendu. "C’est peu, mais ce geste a du sens",
assure Pascal Brice. Les équipes repartent au bout de dix jours, après
la fermeture de la frontière avec l’Autriche et l’arrêt du flux des
migrants. Le "New York Times" s’émeut de la faible moisson française.
"Le tardif 'bienvenue' de la France attire peu de migrants", titre le quotidien américain le 17 septembre. Commentaire du correspondant :
Les réfugiés votent avec leurs pieds et ils ne choisissent pas la France […]. Le pays, avec son chômage élevé et sa rhétorique incendiaire pour tenir les migrants hors de ses frontières, ne leur a pas déroulé le tapis rouge jusqu’à maintenant."
Et de rappeler les récentes
déclarations de Marine Le Pen, le leader du Front National, qui a
comparé l’arrivée des migrants aux invasions du IVe siècle.
L’hexagone ne fait plus rêver
La
France ne serait plus une terre promise ? Sur les 600 réfugiés arrivés
ces derniers jours de Munich, plus d’une vingtaine auraient déjà pris un
billet de retour pour l’Allemagne, d’après l’Ofii. Des départs ont été
enregistrés non seulement à Montmorency, mais aussi à la base de loisirs de Cergy-Pontoise,
quelques kilomètres plus loin, et au monastère des Orantes, à
Bonnelles, dans les Yvelines, deux autres foyers d’accueil qui viennent
d’ouvrir.
Une
visite dans les camps de réfugiés outre-Rhin montre que l’Hexagone ne
fait plus vraiment rêver. Ousmane Ounes, 27 ans, casquette et anorak
noirs, silhouette longiligne, était coiffeur au Pakistan. Il dort
désormais à la Bayernkaserne, un ancien campement militaire dans le nord
de Munich, transformé en centre d’accueil pour réfugiés il y a trois
ans.
Venir en France ? Mais pour vivre où ? Dehors, sans nourriture, sans vêtements, sans argent ? Et pour espérer quoi ? Il faut attendre des mois et des mois avant d’obtenir des papiers. Je suis bien mieux en Allemagne."
Lorsqu’il a quitté Kamoke, dans la province
du Pendjab, il savait déjà qu’il voulait y émigrer. Il a donné 3.000
dollars à un passeur, a vu sa "vie disparaître" sur le fleuve Evros
entre la Turquie et la Grèce ("pendant quatre heures sur une barque avec
45 personnes, vous n’êtes plus rien"), a dormi trois jours dans la
forêt, en Hongrie, s’est fait tabasser par la police de Budapest avant
d’arriver à la gare de Munich.
"Il faut attendre des mois et des mois avant d’obtenir des papiers." Ousmane Ounes, 27 ans, Pakistanais. (Lukas barth / AFP)
À la descente du train, des panneaux de bienvenue inscrits en arabe, du
jus d’orange, des gâteaux secs, des vêtements propres et un médecin
l’attendaient. Il partage aujourd’hui sa chambre avec cinq autres
Pakistanais et Afghans, va bientôt suivre des cours d’allemand et
touchera une allocation mensuelle de 359 euros. S’il n’obtient pas ses
papiers, il retournera en Turquie, où il a déjà travaillé comme
ferronnier. Il n’ira pas en France.
"Des insuffisances graves"
Ahmad
Yama Satik, 32 ans, chemise à carreaux bleue, raie sur le côté, bossait
comme économiste pour des ONG à Kandahar, en Afghanistan. Il a "lutté
pour rester en vie", durant les 35 jours qu’a duré son voyage, s’est
fait tirer dessus par la police iranienne en passant la frontière, à
cheval, a failli se noyer en rejoignant la Grèce.
Mais lui non plus ne veut pas entendre parler de la France :
J’ai des amis là-bas. C’est très compliqué pour trouver un travail. Ils sont à Calais maintenant. Ils dorment sous des tentes, dans la boue, les détritus, sans eau, sans électricité. Ils manquent de mourir à chaque fois qu’ils essaient de monter dans un camion pour aller en Angleterre. Ils ont retrouvé en France le danger qu’ils avaient fui en Afghanistan."
La
sœur de sa femme (qui, elle, est restée à Kandahar avec leurs trois
enfants) est installée à Munich depuis plusieurs années. Elle est mariée
à un chauffeur de taxi qui roule en BMW noire. Ahmad Yama Satik l’a
appelée avant de quitter Kandahar pour lui annoncer son arrivée. C’est
elle qu’il attend en cette veille d’automne, devant les grilles de la
Bayernkaserne, le long de la rue Heidemann, pour aller visiter Munich.
"A Calais, ils dorment sous des tentes dans la boue, les détritus." Ahmad Yama Satik, 32 ans, Afghan. (Lukas barth / AFP)
Un
groupe d’une demi-douzaine de Syriens le rejoignent sur le trottoir.
Dans les 20-30 ans pour la plupart, des ingénieurs, des étudiants, des
fonctionnaires… Le plus âgé, Mageed, 44 ans, prend la parole :
La France est soi-disant une démocratie, le pays des droits de l’homme, mais elle n’accepte les réfugiés qu’au compte-gouttes et les traite mal."
En février, un rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, dénonçait "des insuffisances graves et chroniques obligeant beaucoup [de demandeurs d’asile]
à vivre dans des conditions de grande vulnérabilité qui sont indignes".
Et chez les migrants, tout se sait. "Ils sont souvent éduqués et
connectés au monde", indique Laurent Giovannoni, responsable du
département accueil et droit des étrangers au Secours catholique.
Ils sont perpétuellement reliés à leurs proches, à leurs amis, partout sur la planète, avec leur téléphone portable. Ils ont vu sur Facebook les images de la jungle de Calais, de la Chapelle, du quai d’Austerlitz."
Laurent
Giovannoni explique : "Ils savent qu’en France les conditions d’accueil
se sont détériorées, qu’ils ne seront pas obligatoirement logés, même
s’ils demandent l’asile, contrairement à ce qui se passe en Allemagne,
en Suède ou en Angleterre. Ils savent aussi que les délais pour obtenir
un statut de réfugié se sont allongés ces dernières années, même si cela
s’est amélioré récemment. Et puis, il y a le pouvoir d’attraction de la
communauté. Leurs familles, leurs proches sont déjà installés en
Allemagne ou en Suède. Cela fait boule de neige."
Depuis le début de la guerre civile, l’Allemagne a accueilli 110.000 Syriens sur son territoire, la Suède, 30.000, et la France, seulement 7.000.
"Les mêmes avantages qu’en suède"
Quand
il a quitté la Syrie, Sohab Horane, 20 ans, étudiant en arabe près
d’Alep, voulait rejoindre des amis qui habitent Stockholm, la capitale
suédoise. A Munich, les équipes françaises de l’Ofpra et de l’Ofii l’ont
convaincu de changer de destination.
"Mes
amis, à Stockholm, m’ont dit que j’avais tort de m’installer en
France." Sohab Horane, 20 ans, Syrien. (Yannick Stephant pour "l'Obs")
Il
est monté dans un bus qui partait pour la base de loisirs de
Cergy-Pontoise avec le blouson de sport Adidas que des bénévoles d’une
association caritative allemande lui avaient donné et qu’il porte
toujours aujourd’hui. "Les autorités françaises m’ont assuré que
j’aurais les mêmes avantages qu’en Suède : études, logement, nourriture…
J’ai hésité, j’ai dit oui. J’ai téléphoné à mes amis à Stockholm pour
les prévenir. Ils m’ont passé un savon, m’ont dit que j’avais tort. Au
début, j’ai regretté, je me suis vraiment demandé si j’allais rester."
Il poursuit :
Je ne connais personne ici, je suis perdu. Et puis j’ai décidé finalement de m’installer en France, de finir mes études et de faire venir ma femme qui est enceinte."
Sohab
Horane, comme beaucoup d’autres réfugiés arrivés de Munich, a été déçu à
son arrivée. Il bénéficie pourtant de conditions d’accueil
exceptionnelles par rapport aux autres migrants. Il est logé, suit des
cours de français et devrait obtenir le droit d’asile en seulement 15
jours, alors qu’il faut patienter d’ordinaire un an minimum. Il
reconnaît tout ça.
Mais c’est la visite de François Hollande à la
base de loisirs de Cergy-Pontoise trois jours après son arrivée qui l’a
décidé à rester. Le président français leur a promis :
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